Migrants : Dix jours d’errance à Paris et à Nice
Les migrants sont confrontés depuis plusieurs jours aux évacuations à répétition sans la moindre ébauche de solution.
dans l’hebdo N° 1358 Acheter ce numéro
Le campement de La Chapelle n’est pas sorti de nulle part, un beau matin de juin. Depuis l’été dernier, des vagues de migrants venus de toute l’Afrique se sont installés sous le métro aérien du XVIIIe arrondissement de Paris. Parmi ces rescapés de « la route de la Méditerranée », certains sont en transit vers le nord de l’Europe, d’autres demandeurs d’asile ou réfugiés. Ils passaient quasiment inaperçus dans les médias jusqu’à ce que le camp dépasse les 300 personnes, et que le préfet de police confirme, le 2 juin, l’évacuation du site « pour raisons sanitaires ».
L’Agence régionale de santé avait rédigé un rapport fin mai attestant que des risques de dysenterie et de gale menaçaient le camp. Au lieu d’endiguer l’épidémie, les autorités ont préféré déplacer et éparpiller le problème en multipliant les expulsions. « On vit dans le stress, tout le temps. On ne sait jamais où on pourra dormir le soir », soupire Issa, arrivé du Maroc il y a quelques mois et traumatisé par la tournure des événements.
Réfugiés sur l’esplanade de la halle Pajol depuis la nuit du 5 juin, les migrants ont ensuite fait face aux CRS qui ont encerclé le périmètre. La charge des forces de police a eu lieu malgré les bénévoles faisant barrage et criant « Solidarité avec les réfugiés ! ». Les images des violences policières pour évacuer ce nouveau camp improvisé a fait le tour des réseaux sociaux et des médias et a décuplé la mobilisation citoyenne.
À la suite de l’évacuation de la rue Pajol, le 8 juin, l’association Bois-Dormoy a spontanément ouvert les portes de son jardin partagé aux 160 migrants. Une halte de courte durée car les bénévoles ne peuvent plus assurer ce rôle humanitaire. « Nous sommes débordés… », lâche Thomas Augeais, président de l’association. Poussés par certains militants d’extrême gauche, les manifestants et les migrants occupent pendant plusieurs heures une caserne désaffectée pour faire pression sur la mairie de Paris.
Karim a suivi le mouvement, en boitant. Arrivé de Tunisie en 2011, il souffre de graves problèmes aux jambes. « Je demande juste à être soigné et que je puisse dormir un peu », confie-t-il en montrant un papier prouvant ses sept opérations. Les CRS n’ont pas forcé les portes et les négociations ont abouti : 110 places d’hébergement. Les délégués des migrants acceptent mais c’est une victoire en demi-teinte car une quarantaine sont restés sur le carreau. Toujours soutenus par de nombreux bénévoles, ces oubliés se sont installés au Jardin d’éole.
Mais il y a de plus en plus de monde à gérer. « Certains arrivent d’Italie et ceux qui étaient hébergés à Nanterre sont revenus, car c’était provisoire », explique une militante du Comité de soutien des migrants de La Chapelle. « La police rôde de plus en plus, on nous fait croire à des perquisitions… On sent que l’évacuation ne va pas tarder », glisse-t-elle. Sur le quai d’Austerlitz, situation quasi identique dans un autre camp abritant une centaine de migrants. Chaque jour, des bénévoles leur apportent de la nourriture, de l’eau et leur apprennent les bases du français. Tahri est arrivé du Tchad il y a vingt-et-un jours, mais se débrouille déjà très bien. « Je veux rester en France pour étudier », confie-t-il. Sourire aux lèvres, il reste confiant et n’a pas peur de la police « qui reste loin ». Même si aucun ordre d’évacuation n’a filtré, tous redoutent le même sort que les migrants de La Chapelle.
Même ambiance à l’autre bout du pays. Après leur périple à travers l’Afrique et la Méditerranée, les migrants voyaient Nice comme une formalité pour rejoindre la capitale. Mais depuis le 9 juin, impossible pour les réfugiés de franchir cette nouvelle étape. Même munis de billets de train, ils sont automatiquement renvoyés en Italie, à Vintimille, par la police aux frontières. Quant à la police italienne, elle a tenté de disperser les 200 personnes qui essayaient malgré tout de passer en France. Mais une cinquantaine d’hommes ont résisté et ont investi les rochers du pont Saint-Ludovic, à Menton, équipés de simples couvertures de survie pour affronter la pluie.
À la gare de Vintimille, c’est un véritable dortoir qui s’est formé. « Ils croient encore qu’ils pourront continuer leur chemin vers Nice et Paris. J’ai dû leur montrer des photos pour leur faire comprendre que ce n’est plus possible, raconte Teresa Maffeis, membre de l’Association pour la démocratie à Nice. Mais ils sont déterminés à partir ! » L’organisation humanitaire se mobilise pour améliorer les conditions sanitaires des centaines de migrants, dont des femmes et des enfants en bas âge. Même le préfet de la ville s’est déplacé pour examiner les locaux et aménager un accueil provisoire. Mais personne n’est capable de dire si les droits des migrants seront étudiés au cas par cas, en attendant les décisions prises au niveau européen.