Naïssam Jalal : Une musique de résistance

Avec son nouvel album, Osloob Hayati, la formation de Naïssam Jalal, flûtiste franco-syrienne, offre un mélange inclassable et libre.

Lorraine Soliman  • 3 juin 2015 abonné·es
Naïssam Jalal : Une musique de résistance
© **Osloob Hayati, Rhythms of Resistance** , Les Couleurs du son/L’Autre distribution. En concert le 4 juin à Paris, au Café de la Danse. Photo : Paul Evrard

Heureuse coïncidence qui fit naître aux premières heures du Printemps arabe le quintette Rhythms of Resistance, de la flûtiste Naïssam Jalal. On connaît le désastre syrien et les autres malheurs qui ont suivi l’espoir. On sait aussi que la lutte continue et que la liberté se paie souvent cher. Avec ce nouvel album réunissant huit de ses compositions les plus récentes, Naïssam Jalal propose une expérience musicale inclassable, reflet des chocs et des rencontres au fil de ses pérégrinations. Une musique qui s’inscrit dans un combat lucide «   pour l’épanouissement d’une culture humaine globale et riche de ses différences ». Le saxophoniste Mehdi Chaïb, le guitariste et violoncelliste Karsten Hochapfel, le contrebassiste Matyas Szandai et le batteur Francesco Pastacaldi font merveille aux côtés de la flûtiste. À eux cinq, ils réunissent pas moins de six nationalités et conjuguent leurs talents sur tous les modes. Si Naïssam Jalal a écrit l’intégralité de ces « rythmes de résistance », c’est pour répondre à un besoin impérieux d’exprimer sa singularité de femme musicienne et compositrice, syrienne et française. Osloob Hayati signifie « ma façon de vivre » en arabe, une expression qui résume bien l’engagement de cet album, surtout quand on connaît la riche histoire et la détermination de Naïssam Jalal.

Plutôt classique au démarrage (conservatoire), cette histoire de musiques, de rencontres et de voyages indissociablement mêlés commence à trouver son ampleur quand la jeune fille découvre, à 17 ans, qu’elle peut s’exprimer librement avec son instrument. Elle improvise, c’est le déclic : «   J’ai décidé d’en faire ma vie. » Le grand départ, au sens propre comme au sens figuré, puisqu’elle quitte le domicile familial, en France, pour vivre dans des squats et jouer le plus possible. De ces conditions précaires, où la musique est une passion non viable, la jeune femme décide de sortir et elle s’envole pour la Syrie, le pays de ses parents. «   C’était en 2003, j’avais 19 ans, et le fait de partir étudier le nay [^2] au Grand Institut de musique arabe de Damas était avant tout un prétexte à une quête identitaire. À cause d’un racisme omniprésent et insidieux contre les Arabes, en France, on développe une espèce de honte de soi. On voudrait être fier de ce que l’on est, mais on ne sait pas qui l’on est, et surtout on ne sait pas de quoi on nous accuse. C’est très dur à vivre. » Naïssam Jalal poursuit : «   C’est pour cela qu’il y a tant de jeunes qui revendiquent leur identité arabe dans l’identité musulmane. Ils n’ont pas les moyens de partir dans le pays de leurs origines, alors ils prennent ce qui leur est donné en France : tu vas à la mosquée, un cheikh te dit d’où tu viens et ce dont tu dois être fier. » Après trois mois, Naïssam Jalal quitte la Syrie, fatiguée d’être constamment surveillée par les services du renseignement. Elle passe les trois années suivantes au Caire, où elle rencontre le pianiste Fathy Salama et le joueur de oud Hazem Shaheen. Là-bas, elle peut vivre de sa musique, mais, pour une femme seule, le tribut à payer est lourd : «   Les gens pensaient que j’étais courageuse, mais j’étais surtout naïve. J’ai mis du temps à réaliser combien j’étais méprisée par la société égyptienne dont je croyais faire partie… »

Déçue mais éclairée, la musicienne décide de rentrer en France, où elle poursuit son chemin de résistance en montant ses propres formations. Le milieu du jazz et des musiques improvisées l’adopte volontiers, mais elle ne se sent pas jazzwoman pour autant. Et pas plus dépositaire d’une tradition classique arabe : «   Ici, ma musique peut passer pour de la musique traditionnelle, mais ce n’est pas du tout le cas. C’est de la musique libre, inspirée par tout ce qu’il y a eu avant moi. »

[^2]: Flûte oblique traditionnelle arabo-irano-turque.

Musique
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