Patrick Valentin : « Les chômeurs veulent participer »
ATD Quart monde mène une expérience contre le chômage de longue durée articulée avec le principe d’un revenu de base.
dans l’hebdo N° 1356 Acheter ce numéro
Recycler ce que « coûte » un chômeur pour créer un emploi au Smic en CDI, répondant à des besoins locaux : tel est le principe du projet expérimental « Territoires zéro chômeur de longue durée » d’ATD Quart Monde. Les explications de Patrick Valentin, responsable de ce programme.
Quels sont les points communs entre le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » et celui du revenu de base ?
Patrick Valentin : Nos convictions sont les mêmes dans les deux cas. Ce que nous attendons du revenu d’existence est identique à ce que nous attendons d’un emploi, à condition que ce revenu soit conçu comme un droit. Ce droit ouvre des perspectives sur la capacité de négociation des salariés, la montée de la qualité de l’emploi et le fait que nous nous trouvons dans une réflexion sur le droit et non pas sur la mendicité. Nous avons d’abord réfléchi à l’emploi pour des raisons d’immédiateté. Nous voyons se déliter une société sous l’effet d’un chômage générateur de toutes les misères. Pour nous, il s’agit de combattre les freins au partage.
Des collectivités vous ont-elles sollicités ?
Quatre territoires : Pipriac (Ille-et-Vilaine), Mauléon (Deux-Sèvres), Prémery (Nièvre) et Colombey-les-Belles (Meurthe-et-Moselle) se sont portés candidats à notre projet. Nous sommes dans une phase expérimentale depuis septembre 2014.
Comptez-vous convaincre les territoires de mettre en place un revenu de base ?
Le fait d’affirmer ces territoires « zéro chômeur longue durée » constitue un pas vers un revenu d’existence. Nous voulons démontrer que le néolibéralisme ne peut suffire. Nous voyons bien qu’il ne résout pas les problèmes, et particulièrement celui d’une participation digne de tous à l’activité collective. Les chômeurs ne demandent pas seulement un revenu, ils veulent participer. Or, le système purement néolibéral ne permet pas de mettre en lumière tout ce qui serait utile à la société et qui pourtant n’est pas rentable.
Qu’avez-vous remarqué dans la mise en place de l’expérimentation ?
On s’aperçoit qu’il y a plus de travail utile que de demandeurs d’emploi sans solution. Certes, la réponse ne peut être apportée n’importe comment, parce qu’il faut sortir ces travaux utiles de la marge dans laquelle ils sont cantonnés et montrer qu’ils ne sont pas concurrents de travaux existants dans la même profession et sur le même territoire. On est obligé de faire de la dentelle pour ne pas ébranler l’équilibre actuel. Il y a une complémentarité à trouver. Par exemple, à Sarcelles, près de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, vous ne trouverez pas de taxis pour vous conduire à l’aéroport. Les taxis font la navette depuis Paris mais pas entre Sarcelles et l’aéroport, parce que ce n’est pas intéressant pour eux. Dans un territoire rural, le boulanger nous dit qu’il vendrait deux fois plus de pain s’il pouvait le livrer, mais que ce n’est pas rentable, alors que des personnes ne demandent qu’à livrer le pain. Toutes les catégories de métiers sont concernées, à tous les niveaux et quelle que soit leur évolution. En réalité, l’emploi est beaucoup plus que l’emploi. Il comporte également le plaisir personnel de faire quelque chose, de le réussir et d’être reconnu par l’autre. Par ailleurs, on devrait aussi valoriser le fait que cette main-d’œuvre sans emploi pourrait accélérer les transitions écologiques.
Comment faites-vous pour rémunérer ces emplois ?
On a pris le risque de commencer avant le vote de la loi d’expérimentation, qui donnera les financements. C’est techniquement difficile pour les administrations de l’État, mais intellectuellement simple à concevoir. Nous avons étudié le coût de la privation d’emploi, qui est de l’ordre, au bas mot, de 20 000 euros par personne et par an : nous voulons déclencher une décision politique pour utiliser cet argent autrement, en créant de l’activité. C’est une autre façon d’approcher la notion de revenu de base, en défendant l’idée que tout le monde a droit au Smic. Cela ébranle tous les concepts existants parce que nous créerons des entreprises atypiques, en lien avec l’économie solidaire, qui auront pour mission de s’occuper de l’emploi complémentaire. Elles rémunéreront leurs salariés au Smic à temps choisi et de qualité, à durée indéterminée, avec une exigence : rester inscrit à Pôle emploi pour montrer clairement sa disponibilité sur le marché du travail classique. Dans ce mécanisme, le revenu de base vient se greffer de façon magistrale à cette idée que chacun perçoit au moins le Smic et peut choisir ce qu’il fait de sa vie.