Quelles solutions pour les migrants ?
Les arrestations violentes de migrants début juin à Paris sont l’occasion d’une prise de conscience : ils sont de plus en plus nombreux à chercher protection en France, qui doit revoir son accueil.
dans l’hebdo N° 1358 Acheter ce numéro
L’église Saint-Bernard (1996), Sangatte (2002), les camps roms au petit matin… Les exemples d’évacuations violentes sans relogement ne manquent pas. Si celle de la rue Pajol le 8 juin à Paris, où près de 200 migrants originaires majoritairement d’Érythrée et du Soudan avaient trouvé refuge après l’évacuation du camp de La Chapelle le 2 juin, marque autant les esprits, c’est parce que les images font le tour d’Internet (20 000 visites sur celles diffusées par Politis.fr). On y voit des CRS charger une foule compacte et traîner des migrants et des militants par terre. C’est aussi parce qu’elle s’est accompagnée de 84 arrestations : « Arrêter était l’objectif principal, tranche Violaine Carrère, du Gisti. Quand on veut uniquement évacuer des gens, on ne les encercle pas pour leur bloquer le passage et les tirer dans des camions stationnés… » C’est enfin parce qu’elle s’accompagne d’une interrogation : va-t-on vers un camp de réfugiés en plein Paris ? « Nous sommes à un tournant dans l’histoire de l’humanitaire, analyse Jean-François Corty, directeur des missions France à Médecins du monde.
On a longtemps cru que les camps de réfugiés étaient l’affaire de pays lointains. Les récents conflits en Syrie, en Libye, au Soudan, en Érythrée, la crise climatique et des raisons économiques, où nous avons notre part de responsabilité, font que de plus en plus de personnes viennent trouver refuge en Europe. » Les migrants ne sont pas à nos portes, même si les autorités s’emploient à les refouler vers l’Italie ces derniers jours, ils sont en bas de chez nous. Quel accueil leur réserver ?
« Les arrivées se sont accrues depuis l’été dernier, reprend Jean-Francois Corty, ajoutant des migrants de ces pays aux flux réguliers d’Afghanistan et du Maghreb, et les familles sont de plus en plus nombreuses. Or, on n’est pas bien préparés à recevoir des personnes qui ont besoin d’une protection à court ou moyen terme. » Témoin : la situation explosive dans le Calaisis, où près de 3 000 migrants survivent dans des conditions d’hygiène et de sécurité déplorables, confrontés à une épidémie de gale, une seule distribution de repas par jour en quantité insuffisante et une mortalité inquiétante. « Calais est une impasse. L’Angleterre bloque. Les migrants sont en danger, les habitants sont ulcérés : laisser pourrir de telles situations n’est bon pour personne… »
La proposition de la maire de Paris, Anne Hidalgo, le 9 juin, d’ouvrir un centre d’accueil temporaire dans la capitale a suscité des craintes. L’Élysée ripostant : « Ça n’existe pas le provisoire. Un centre de transit, ce n’est pas la solution. » Pas de « Sangatte bis » ? L’expression a été reprise partout, du Front national jusqu’aux associations de défense des migrants pour qui Sangatte est un mauvais souvenir. « L’idée d’ouvrir un centre à Paris va dans le bon sens, argumente néamoins Jean-François Corty. *Mais il en faudrait sur tout le parcours, Dunkerque, Calais, Marseille, Nice… Et pas des tentes : la France est la cinquième puissance mondiale, elle a les moyens de proposer des abris en dur pour permettre à des gens qui ont traversé des mers au péril de leur vie de se poser, se nourrir, se laver et réfléchir à leur situation. » *
Vers un monde de camps ? Un accueil digne en France serait la première mesure à prendre selon les défenseurs des migrants, avant un deuxième niveau d’intervention, à l’échelle de l’Europe, sur la sécurité en Méditerranée et le partage de la solidarité avec les pays par lesquels les migrants arrivent, comme l’Italie et la Grèce. Troisième niveau : revoir les accords passés avec des régimes contestés. Aujourd’hui, la France est en situation de violation de la Convention de Genève, de directives relatives à des normes minimales d’accueil et du droit d’asile, alors qu’une réforme de l’asile est en cours. À la suite de l’expulsion du camp de La Chapelle, le Gisti, qui continue à défendre la liberté de circulation comme solution principale, a saisi le Défenseur des droits. « Tous les migrants qui ont été enfermés en centre de rétention au Mesnil-Amelot et à Vincennes ont été libérés pour défaut d’examen de leurs demandes, explique Jean-Claude Mas, secrétaire général de la Cimade. Les lieux de privation de liberté ne sont pas adaptés au dépôt de demande d’asile. En outre, la Cour nationale du droit d’asile vient d’émettre un avis concernant l’Érythrée : demander l’asile en Europe rendrait les Érythréens “subversifs” pour leur pays d’origine. » Un espoir les concernant ? À défaut du statut de réfugié, les migrants peuvent obtenir une protection subsidiaire. On dénombre 60 000 demandes d’asile par an, « pour un taux de réponse qui serait passé de 14 à 22 % depuis l’année dernière, se réjouit Jean-Claude Mas. Ce nombre pourrait bientôt doubler. Mais cela ne répond pas à la question : quel accueil transitoire ? Il faut envisager des centres à taille humaine, de 150 à 200 places… »
Reste à savoir si le gouvernement va changer d’avis. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a demandé à Jean Aribaud, préfet honoraire, et à Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, de trouver des solutions pour les migrants de Calais voici plusieurs mois. Certains espèrent voir dans leur rapport imminent une proposition de centres d’accueil adaptés. « Il faudrait sortir du double discours, proteste Jean-Claude Mas. L’État prône une répartition des migrants en Europe mais les refoule à Nice. » Le 5 mai, une centaine d’organisations avaient envoyé au chef de l’État un appel : « Contre les naufrages en Méditerranée, des ponts, pas des murs. » Dans une réponse cinglante, François Hollande défend sa politique : soutien des mesures d’urgence du Conseil de l’Europe, notamment le triplement des ressources de l’opération Triton en mer, actions en direction des pays tiers pour « éviter les départs », et « accord sur une répartition équitable des personnes en besoin de protection. » « C’était avant La Chapelle, grince Violaine Carrère. Depuis, pas de réaction du chef de l’État. « Anne Hidalgo parle aujourd’hui d’un accueil digne à Paris. Mais qu’a-t-on fait pour les camps de La Chapelle et d’Austerlitz depuis dix mois ? » « Face à la crainte injustifiée de l’appel d’air, une majorité de gauche doit rassurer l’opinion et continuer à défendre la solidarité », insiste Jean-Claude Mas. Sans solidarité, la situation se dégrade de toute façon. Les appels de soutien se multiplient. Une manifestation est organisée le 21 juin à Paris.