Serres d’Auteuil : Revers fâcheux pour Roland-Garros

Le projet d’extension du stade de tennis sur les serres d’Auteuil, en discussion depuis cinq ans, vient de subir un vote négatif au Conseil de Paris, compromettant sa réalisation prochaine.

Patrick Piro  • 3 juin 2015 abonné·es
Serres d’Auteuil : Revers fâcheux pour Roland-Garros
© Photo : AFP PHOTO / FRANCOIS GUILLOT

À l’abri de la frondaison des érables, une femme fait ses mots croisés sur un banc. Quelques poussettes circulent entre les vénérables verrières des serres d’Auteuil. Certaines, datant du XIXe siècle, sont classées monuments historiques. Elles abritent plus de 6 000 espèces végétales, dont de nombreux taxons rares. Deux passionnés interrogent un jardinier sur le devenir des collections d’orchidées : une moitié des sept hectares du jardin botanique, situé à l’ouest du XVIe arrondissement de Paris, est convoitée par le stade de Roland-Garros pour la construction d’une extension, dont un court de 5 000 places. « On nous a demandé de ne pas nous exprimer sur l’affaire », répond le jardinier. De l’autre côté du boulevard Gordon-Bennett, la terre est rouge, enchâssée dans l’enceinte bétonnée des courts où se déroule l’un des quatre tournois du prestigieux Grand Chelem de la planète tennis. Ce vendredi 29 mai, alors que s’affrontent les deux joueurs français Nicolas Mahut et Gilles Simon, on circule à grand-peine dans le flux des visiteurs.

C’est une évidence : Roland-Garros fait craquer les coutures des 8,5 hectares de son enceinte. Ses grands concurrents – Wimbledon, US Open et Open d’Australie – s’étalent sur environ 20 hectares. Les deux premiers ont d’ailleurs choisi de s’exiler à près de trois quarts d’heure du centre-ville. Et Versailles tendait les bras à la Fédération française de tennis (FFT). En 2011, celle-ci choisit cependant de rester sur place et projette l’extension du stade côté jardin. Son projet suppose la destruction d’une zone de serres non classées, le regroupement des collections végétales sur un périmètre plus restreint, ainsi que l’occupation temporaire d’une zone supplémentaire du jardin durant la quinzaine du tournoi. La Ville de Paris, propriétaire du terrain, soutient la FFT, qui financerait l’intégralité de la construction – 400 millions d’euros. Dans les médias, des articles à la sémantique calculée au millimètre laissent croire à l’imminence de la construction. Mais les écologistes, des riverains, ainsi que des associations de défense de l’environnement et du patrimoine s’opposent radicalement à cette annexion. L’enquête publique a certes donné un avis favorable au projet de la FFT en novembre dernier. Mais les manquements démocratiques qui ont conduit au drame du barrage de Sivens sont dans les têtes. Et la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, plutôt hostile au remaniement des serres, et dont la signature est impérative pour la délivrance du permis de construire, a exigé en février dernier que soit évalué le contre-projet des opposants, irrités par le mépris de la FFT à leur endroit. Il s’agirait de couvrir l’autoroute A13 pour permettre l’extension du stade vers le nord, sans toucher au jardin.

À contrecœur, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a accepté. Et le rapport du cabinet Egis, livré il y a deux semaines, lui est favorable. L’alternative coûterait près de 80 millions d’euros de plus que le projet de la FFT et ne répondrait pas aux fonctionnalités souhaitées. « Arnaque grossière », fulmine Yves Contassot, auditionné par le cabinet. Les conclusions d’Egis sont « diamétralement opposées à ses commentaires validant dix jours plus tôt notre contre-projet sur le fond, et pour un surcoût qui lui semblait très réaliste ! » – moins de 18 millions d’euros. Le conseiller EELV de Paris s’étonne de l’empilement des préventions administratives alléguées pour la couverture de l’A13 (fouilles archéologiques, classement « protection de l’environnement », étude de zone humide), dont les délais, mis bout à bout par le cabinet, déporteraient la livraison de l’extension au-delà de 2024… date des Jeux olympiques dont Paris convoite l’attribution. Yves Contassot et ses alliés ont soulevé deux lièvres : Marc Mimram, architecte du projet FFT, est en affaires avec le cabinet évaluateur ; et l’analyse de la fonctionnalité du contre-projet, point déterminant, a été confiée à un expert mandaté par la fédération. « C’est une insulte faite au professionnalisme d’Egis que d’imaginer un conflit d’intérêts !, réplique Gilbert Ysern, directeur général de la FFT. Quant à prendre l’avis d’un de nos spécialistes, je ne vois pas ce qu’il y a de choquant, c’est le contraire qui serait inquiétant. » La semaine dernière, Yves Contassot et trois autres élus EELV lancent la contre-attaque auprès du Conseil de Paris. Rappelant que la FFT n’avait par ailleurs jamais rempli ses obligations lors d’une première extension de Roland-Garros en 1991, ils demandent une suspension des autorisations ainsi qu’un complément d’étude réellement indépendant. Surprise : le vœu a été adopté par 82 voix contre 76, grâce au soutien de l’UDI et surtout de l’UMP, jusque-là pro-FFT. C’est la première mise en minorité de l’exécutif socialiste parisien dans cette affaire, où certains déplorent que la droite y ait vu l’opportunité de mettre Anne Hidalgo en difficulté.

Ce qui n’a pas empêché la maire de Paris d’annoncer, remontée, que « Roland-Garros, c’est parti ! ». En effet, un vœu n’a qu’une valeur indicative, et la balle est désormais dans le camp du gouvernement. Pour contourner l’obstacle Royal, la maire de Paris en a appelé au Premier ministre, qui a récemment exprimé son soutien à la FFT, en vue de démontrer la détermination de la France dans la course à l’Olympiade 2024. L’affaire pourrait être arbitrée par François Hollande, alors que les sujets environnementaux prennent une importance politique plus aiguë en cette année où Paris accueille le sommet climatique COP 21. « Malheureusement, nous sommes otages de jeux politiciens », déplore Gilbert Ysern, qui espère encore pouvoir lancer le chantier à l’automne. Yves Contassot soupçonne que cet empressement est motivé par le renouvellement, en 2016, du poste de président de la FFT, sur lequel le directeur général a des vues. Un calendrier interne qui a toutes les chances d’être supplanté par la bataille des recours en justice, qui s’annonce longue. Ravi, l’élu EELV a même entendu Claude Goasguen, maire UMP du XVIe arrondissement, se dire prêt à soutenir l’installation d’une « zone à défendre » (ZAD) dans les serres d’Auteuil.

Écologie
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