Temporiser ou se battre ? Le dilemme de Syriza
La gauche grecque est partagée entre deux attitudes face à l’intransigeance des créanciers du pays. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.
dans l’hebdo N° 1356 Acheter ce numéro
Si seuls 36 % des Grecs ont voté le 26 janvier dernier pour Syriza, il ne faut pas oublier qu’ils étaient plus de 70 % à avoir voté contre l’austérité. L’opinion était convaincue que ce rejet massif de la politique de rigueur serait entendu. Le doute existe aujourd’hui, alors que l’on semble s’orienter vers un accord entre Athènes et ses créanciers. Deux mots dominent d’ailleurs les débats, qui rendent compte de cette incertitude : kolotouba et rixi. « Saut en arrière » ou « affrontement ». Autrement dit, est-ce qu’Alexis Tsipras a effectué ou non un saut en arrière par rapport à ses engagements électoraux ? Ou est-ce qu’il faut aller à la rixi, c’est-à-dire à l’affrontement jusqu’au bout avec les créanciers, et peut-être même jusqu’à la sortie de la zone euro ?
Dans un pays où les blessures de la guerre civile des années 1946-1949 ne sont toujours pas pansées, l’enjeu va au-delà du simple accord avec les créanciers. L’enjeu est idéologique. L’arrivée au pouvoir de Syriza – c’est-à-dire de la gauche et non de cette social-démocratie qui, dans toute l’histoire récente du pays, était du mauvais côté – a constitué un appel d’air sans précédent. Beaucoup ont voté Syriza car ce vote était non pas un rendez-vous avec l’histoire, « mais une revanche sur l’histoire », comme l’explique Irini Kondaridou, professeure de lettres. Elle s’empresse d’ajouter que c’était aussi « le seul moyen de se débarrasser du conservateur Samaras ». Amère, Irini rappelle aujourd’hui qu’avant les élections « Syriza disait qu’il allait déchirer les mémorandums d’austérité devant le Parlement dès son accession au pouvoir », et qu’il parle maintenant « d’un accord bénéfique pour les deux parties, voire d’un autre mémorandum d’austérité » .
On est loin du programme de Thessalonique de 2012, qui était le plan de Syriza pour sortir de la crise. Un programme qui tenait la route, mais situé aux antipodes des directives de rigueur prônées par les créanciers du pays. Ceci expliquant cela, toutes les voies de financement prévues par Syriza ont été fermées les unes après les autres. Toutes les réformes proposées ont été considérées comme de « bonnes bases pour discuter », mais jamais comme des réformes à appliquer. Jusqu’à ce fameux accord « bénéfique pour les deux parties », dont personne ne connaît encore la teneur mais dont tout le monde en Grèce sait qu’il sera loin de « Thessalonique ». La taxe immobilière Enfia [^2] sera maintenue encore un an, la TVA augmentera, les départs à la retraite anticipée seront limités, les privatisations, certes revues et encadrées, seront autorisées et l’imposition sera augmentée. Même si ce qui était présenté par Syriza comme des lignes rouges infranchissables (pas de baisse des salaires et des retraites, pas de licenciements collectifs, aide aux plus démunis et sécurité sociale pour tous) est maintenu, un dilemme se pose aux militants et au monde de la gauche. Faut-il rester fidèle à ce programme au risque de faire tomber le gouvernement ou mettre de l’eau dans son vin pour donner à Syriza la possibilité d’accomplir son programme dans les trois ans et demi qui lui restent à gouverner avant les prochaines législatives ? En d’autres termes, faut-il se donner les moyens nécessaires pour que l’expérience Syriza continue et ne soit pas qu’un « accident », comme se plaît à le clamer haut et fort le parti conservateur, qui rêve de revenir aux affaires en cas d’échec des négociations ? Ou exiger l’application immédiate des engagements pour lesquels Syriza a été élu, comme le défend par exemple la députée Maria Sakorafa, pour qui « toute déviation du programme de Thessalonique est inadmissible et impensable » ? Cette seconde position est également défendue par la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, et tous les membres de la plateforme Iskra, qui regroupe l’aile dure du Syriza. Les plus modérés, comme Dimitris Papadimoulis, font appel au contraire à la discipline du parti pour ne pas faire de Syriza « une parenthèse » de la gauche.
« On ne va pas leur faire ce plaisir ! », murmure-t-on en serrant les dents dans les milieux de gauche, tout en demeurant critique à l’égard de Syriza et de ses écarts éventuels. Si accord il y a, il sera adopté et voté par le Parlement, certes, mais pas question de signer un chèque en blanc au gouvernement. Pas question, par exemple, de revenir sur les réembauches des fonctionnaires ou sur la loi pour lutter contre la crise humanitaire, comme le voudrait le FMI. Il reste encore plus de trois ans à Syriza pour prouver qu’une autre voie est possible. Il sera toujours temps pour la rixi, l’affrontement.
[^2]: Impôt unifié de propriété des biens immobiliers.