Turquie : « Une défaite relative pour Erdogan »
Les islamo-conservateurs remportent les législatives, mais sortent affaiblis d’une élection qui devait donner les pleins pouvoirs au Président. Analyse du directeur adjoint de l’Iris, Didier Billion.
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Les élections législatives devaient permettre au Président turc, Recep Tayyip Erdogan, de renforcer son pouvoir. Son parti, l’AKP, islamo-conservateur, sort au contraire diminué de ce scrutin. Spécialiste de la Turquie, Didier Billion analyse ici les conséquences intérieures et extérieures d’un vote qui, cependant, conforte la démocratie.
Quel bilan tirez-vous de ces législatives ?
Didier Billion : C’est une défaite relative car l’AKP reste tout de même le premier parti en Turquie. Avec 41 % des voix, c’est la quatrième élection législative qu’il remporte. Mais le Président turc doit renoncer à son rêve d’un régime présidentiel fort. Ces élections lui permettaient d’espérer deux solutions pour entreprendre une modification constitutionnelle. La première consistait à atteindre la majorité qualifiée, c’est-à-dire des deux tiers des sièges des députés au Parlement (367 sièges). La seconde aurait été d’arriver à une majorité des trois cinquièmes (330 sièges). Cela aurait permis aux députés de voter pour mettre en place un référendum sur la modification constitutionnelle. Sur ce point, il s’agit bien d’une défaite pour Erdogan puisqu’il n’a obtenu que 259 sièges.
La surprise, c’est le score du Parti démocratique des peuples (HDP). Quels sont ses liens avec le Parti kurde (PKK) ?
Ces liens sont de notoriété publique. Au sein du HDP, il y a des gens qui sont très proches du PKK, qui est en guerre depuis 1984 contre l’État turc. Mais l’entrée de députés de ce parti au Parlement a déjà contribué auparavant à la démilitarisation du conflit. À présent, c’est l’HDP qui prend la relève sur la question kurde. Il est remarquable, lorsque l’on regarde une carte, de voir que dans l’est et le sud-est de la Turquie, quasiment toutes les circonscriptions ont été remportées par l’HDP.
Erdogan va-t-il devoir changer de discours ?
À l’annonce des résultats, Erdogan a fait une déclaration dont la tonalité était étonnamment différente de ses discours depuis des années. Il utilise souvent un langage de polarisation. Sauf que cette fois, le Président turc a rappelé que chacun devait être responsable et que la Turquie devait continuer à s’épanouir dans la démocratie. Ce qui tranche avec ses précédentes déclarations, comme durant le mouvement protestataire du parc Gezi, en 2013. À l’époque, il avait affirmé son pouvoir autoritaire. C’était une vision de la démocratie où il n’y avait pas de place pour l’opposition. Aujourd’hui qu’il a perdu cette majorité, il est obligé de composer.
Avec qui ?
Compte tenu de la polarisation politique, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de partis qui acceptent de former une coalition avec l’AKP. Il est peu probable que le MHP, nationaliste, ou le CHP, social-démocrate, acceptent de composer avec lui. À moins que l’AKP ne donne beaucoup de gages. Des députés réélus de l’AKP ont annoncé qu’ils ne veulent pas d’un gouvernement de coalition et qu’ils souhaitent de nouvelles élections. À mon avis, ça ne se réalisera pas, ça serait un pari risqué et la possibilité d’un nouveau recul du parti au pouvoir. Il s’agit d’une situation très complexe, c’est véritablement une nouvelle séquence politique qui s’ouvre.
Au total, c’est une victoire pour la démocratie. Et la preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre l’islam politique et la démocratie.
Ce qui est intéressant, c’est que l’AKP, qui tire ses racines de l’islam politique, a pendant ses premières années au pouvoir considérablement élargi les libertés individuelles et collectives. Mais depuis cinq ans, il y a une régression, un climat liberticide. Non pas parce que c’est un parti d’origine islamiste, mais parce que c’est le seul parti au pouvoir. Mais quoi qu’on puisse en penser, il a organisé des élections libres, preuve que le fonctionnement démocratique turc est une réalité. En revanche, ce qui me préoccupe ces derniers mois, c’est que les trois pouvoirs traditionnels, judiciaire, législatif et exécutif, sont de moins en moins indépendants les uns des autres.
Ces élections auront-elles une influence régionale ? Cela va-t-il affaiblir la Turquie dans le dossier syrien ?
Il est certain que cela aura une influence. Après l’annonce des résultats, Selahattin Demirtas, le principal dirigeant de l’HDP, a dédié cette victoire aux peuples du Moyen-Orient et principalement aux Kurdes. De récents sondages ont démontré que, au sein même de l’électorat de l’AKP, nombreux sont ceux qui critiquent l’obsession d’Erdogan à faire tomber le régime d’Assad et son soutien aux groupes jihadistes.