« Ulcan » devient enfin une affaire
Les attaques du hacker d’extrême droite franco-israélien contre des médias, dont *Politis,* et des responsables associatifs inquiètent le gouvernement.
dans l’hebdo N° 1359 Acheter ce numéro
Le gouvernement est-il enfin en train de passer à l’action dans l’affaire Ulcan, ce hacker ultra-sioniste qui s’en prend à des journalistes et à des responsables associatifs ? Mardi, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, et Christiane Taubira, ministre de la Justice, ont longuement reçu ses trois dernières cibles, Pierre Haski (Rue89), Daniel Schneidermann (Arrêt sur images) et moi-même. La veille, Laurent Fabius, en visite en Israël, aurait évoqué l’affaire lors de sa rencontre avec Benyamin Netanyahou, puisque l’activiste franco-israélien réside à Ashdod, dans le sud du pays. Il en avait en tout cas manifesté l’intention dimanche au Caire. Devant les trois journalistes, le ministre de l’Intérieur et la garde des Sceaux ont confirmé qu’une enquête préliminaire avait été ouverte par le parquet de Paris. Les ministres ont dit être pleinement conscients de la gravité des faits.
Par ailleurs, Bernard Cazeneuve s’est dit prêt à recevoir prochainement le co-président de l’Union juive française pour la paix (UJFP), Pierre Stambul, victime d’une descente particulièrement musclée du Raid à son domicile marseillais après un appel malveillant de Grégory Chelli, alias Ulcan. Il a également souligné que les services de police étaient eux aussi victimes du hacker lorsque celui-ci les mobilise pour de fausses pistes. Quant à Ulcan, il a précipitamment fermé son site et fait disparaître sa page Facebook sur laquelle il narguait la police en détournant le logo du Raid. Ce Français de 32 ans, présente un double visage. Les journalistes d’Arrêt sur images qui sont allés voir de plus près sur son site Viol vocal (déjà tout un programme) brossent le portrait d’un petit « chef » trônant au milieu d’une bande de jeunes gens portés « sur les drogues douces, l’insulte gratuite, et un humour allant du très douteux au carrément odieux ».
Un post-adolescent mal dégrossi « fasciné par les médias ». Mais il n’est pas que cela. Ses cibles ne sont pas choisies au hasard. Proche de la Ligue de défense juive, il colle au plus près à la politique du gouvernement Netanyahou. L’été dernier, il harcelait des journalistes qui rendaient compte des bombardements sur Gaza. Ces derniers jours, c’est l’affaire du boycott qui le mobilise. Et il jouit d’une totale impunité. Il se permet même de donner des interviews sur la chaîne i24news, de l’homme d’affaires franco-israélien Patrick Drahi. Et lundi, il était sur une chaîne de télévision israélienne, affirmant s’en prendre « aux néo-nazis et aux pro-palestiniens ». L’intervieweur s’est tout de même dit choqué par ce coup de téléphone adressé l’été dernier au père d’un journaliste de Rue89 pour lui annoncer la mort de son fils. Un « canular » meurtrier, puisque sa victime a succombé, peu de temps après, d’un infarctus.
Si le gouvernement français semble enfin avoir ajouté le dossier Ulcan au fond de la valise très diplomatique de Laurent Fabius, c’est que l’activiste, ou l’un de ses semblables, a multiplié les attaques au cours de la semaine dernière, contre Politis et l’UJFP notamment, mais aussi contre Jean-Claude Lefort, ex-président de l’association France-Palestine solidarité. Rappel des faits.
Au cours de la nuit du 17 au 18 juin, sans doute à la suite d’un éditorial qui a déplu (voir Politis n° 1358), j’ai été harcelé par une série de coups de téléphone, avant de recevoir, vers deux heures, la visite de la police. Détail troublant : certains de ces appels s’affichaient comme provenant de mon propre téléphone mobile. D’autres, du commissariat de Gap. Allez savoir pourquoi ! À peu près au même moment, les locaux de Politis étaient visités par les policiers assistés de pompiers qui brisaient une baie vitrée. Le lendemain matin, j’apprenais que Pierre Haski, fondateur du site Rue89, avait connu le même sort : harcèlement téléphonique et intervention policière à son domicile, tout comme la nuit précédente Daniel Schneidermann, fondateur d’Arrêt sur images.
S’il s’agissait d’un polar, l’intrigue en serait médiocre puisque tout le monde ou presque connaît le coupable. Ulcan s’est suffisamment vanté de ce genre d’exploits pour que les soupçons se tournent vers lui, même si, dans son interview sur i24news, il nie cette fois son implication directe, tout en approuvant l’opération. À peu de chose près, le scénario est toujours le même. En ce qui me concerne, les policiers ont reçu un appel dont j’étais censé être l’auteur affirmant qu’un « individu armé et cagoulé » me retenait en otage à mon domicile. Et une heure plus tard, les policiers recevaient un autre appel les informant que je menaçais ma femme avec une 22 Long Rifle dans les locaux de Politis. Ce qui a déclenché l’intervention au siège du journal.
Dans ces affaires à répétition, il y a toujours trois victimes : le journaliste harcelé, la police, bernée par un imposteur et détournée de ses missions, et aussi, et peut-être surtout, la liberté de la presse (voir notre dossier). Car le but de l’opération est assez claire : il s’agit évidemment de tentatives d’intimidation visant à faire taire la presse dans sa couverture du conflit israélo-palestinien. Et apparemment, ça marche. Beaucoup de nos confrères ont choisi le silence ou l’anonymat d’articles non signés. A-t-on peur dans certaines rédactions d’être pris pour cibles du hacker ? Ou bien, attend-on un signal des pouvoirs publics – ce qui n’est guère plus glorieux, mais tout aussi plausible ?
Car voilà un autre motif d’étonnement : alors que la liberté de la presse a été, à juste titre, exaltée après la tragédie de Charlie Hebdo, il n’y a pas eu cette fois une seule protestation publique. Gageons que si l’activiste était un musulman agissant depuis un pays arabe, et ses cibles, des médias connus pour leur soutien au gouvernement israélien, le Premier ministre aurait immédiatement rendu visite aux victimes, flanqué du grand rabbin de France, du président du Crif, du recteur de la mosquée de Paris. Nous n’en demandons pas tant. Un simple communiqué de condamnation aurait fait notre affaire. Si la contre-attaque juridique est bien en cours, le geste symbolique, c’est-à-dire politique, fait toujours défaut.
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