Un Patriot Act à la française ?

La Loi sur le renseignement entrave la liberté d’informer : les journalistes pourront être placés sous surveillance automatique rien qu’en démarrant leurs enquêtes.

Ingrid Merckx  • 24 juin 2015 abonné·es
Un Patriot Act à la française ?
© Photo : MORISSARD / CITIZENSIDE / AFP

a près le vote par le Sénat de la loi sur le renseignement, le texte est revenu à l’Assemblée nationale les 22 et 23 juin. « Malgré tous les dénis gouvernementaux, c’est le coup du Patriot Act avec quatorze ans de retard », prévient un collectif auquel participent, entre autres, la Ligue des droits de l’homme (LDH), le Syndicat national des journalistes et le collectif Sortir du silence.org. Sous le nom Occupy DGSI, il invitait à une assemblée populaire devant le siège de la Direction générale de la sécurité intérieure le 21 juin.

Même le New York Times a tenté d’alerter la France le 31 mars : « Les législateurs français ne devraient pas approuver la loi, à moins qu’il ne soit donné aux juges un rôle approprié, que les définitions vagues de ce qui constitue une menace terroriste soient retirées du projet de loi et que la liberté de la presse soit protégée. » Ce n’est pas le cas dans la dernière mouture, qui s’est vu ajouter une disposition aggravante : les étrangers en France pourront faire l’objet d’une surveillance sur avis du Premier ministre, « sans avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignements », souligne la Quadrature du Net. C’est là une manière d’internationaliser la surveillance au mépris des droits garantis en France. Parmi ces droits, la liberté de la presse, poursuit le New York Times  : « Les journalistes risquent de déclencher la surveillance gouvernementale simplement en faisant des recherches sur Internet. » Les IMSI-catchers, systèmes électroniques d’écoute téléphonique, permettront une surveillance automatique des journalistes « sans qu’aucune garantie de protection des recherches et des sources ne soit apportée, signale Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH. Les journalistes doivent pouvoir travailler sans courir de risques, voire jouir d’une forme d’impunité encadrée pendant leurs enquêtes, même s’ils doivent également répondre de cette liberté » .

Si la directive sur le secret des affaires a soulevé l’indignation, la loi sur le renseignement passe dans l’indifférence. « Elle a été présentée comme une loi antiterroriste, explique Michel Tubiana. Le peuple, terrorisé, préfère s’en remettre à un État protecteur. » Les États-Unis ont eu le 11 Septembre, la France les 7 et 9 janvier. Sous le choc des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, le pays va donc permettre que les pratiques illégales de la police deviennent légales. « Le but de la surveillance de masse n’est pas de déjouer des “attentats terroristes”, affirme le collectif Occupy DGSI, mais la surveillance de masse elle-même ; le terrorisme sert de prétexte à une tout autre politique. » Le Conseil national du numérique s’inquiète quant à lui de l’extension du périmètre de la surveillance : « Outre la prévention du terrorisme et les intérêts de l’intelligence économique, la surveillance est désormais justifiée par la “prévention des violences collectives” ou “la défense des intérêts de la politique étrangère”. » Il se dit également préoccupé par l’introduction de systèmes automatisés. Et prévient : «  La technique aura toujours une avance sur le droit. » Mais quel contrôle démocratique du renseignement ? Faudra-t-il attendre les premières dérives ? « La mise en place sous Sarkozy d’un fichier devant recueillir les empreintes génétiques de trois cents délinquants sexuels a dérivé vers le recueil des empreintes de personnes incarcérées, se souvient Michel Tubiana. C’est alors seulement que les gens s’en sont émus. La pédagogie a toujours un effet retard. »

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La liberté d'informer en danger
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