À cinq mois des régionales, les manœuvres ont commencé
Les nouvelles régions, aux compétences étendues mais pas encore définitivement fixées, intéressent les ténors cumulards. Mais des listes à la mode de Grenoble pourraient toutefois créer la surprise.
dans l’hebdo N° 1362 Acheter ce numéro
C’est une date surlignée dans le calendrier de tous les responsables politiques. Et depuis des mois. Les 6 et 13 décembre, les électeurs sont appelés à élire leurs assemblées régionales dans une nouvelle configuration. Pour constituer des ensembles de l’ordre de 6 millions d’habitants, la réforme territoriale a réduit de 22 à 13 le nombre des régions et redessiné la carte régionale. Fusionné la Basse et la Haute-Normandie. Marié le Nord-Pas-de-Calais avec la Picardie, la Bourgogne avec la Franche-Comté, l’Auvergne avec Rhône-Alpes, le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Associé l’Alsace avec la Champagne-Ardenne et la Lorraine, l’Aquitaine avec le Limousin et le Poitou-Charentes. Donner une cohérence et une unité à ces vastes territoires constituera l’un des enjeux du scrutin. Pour se rendre à Guéret (Creuse) depuis Pau (Pyrénées-Atlantiques), le communiste Olivier Dartigolles constatait récemment qu’il avait parcouru 500 km sans changer de région.
Les régions verront en outre leurs ressources fiscales augmenter fortement pour faire face à de nouveaux blocs de compétences « au service du développement économique, de l’attractivité et du développement équilibré des territoires ». Mais, à moins de cinq mois du scrutin, la loi NOTRe (pour Nouvelle Organisation territoriale), qui doit délimiter ces compétences, est toujours en discussion entre l’Assemblée et le Sénat, où elle revient en séance le 22 juillet. Et connaît des modifications importantes. Ainsi le gouvernement avait prévu de transférer la gestion des collèges du département à la région ; il n’en sera rien. À ce stade du parcours législatif, les transports scolaires devraient toutefois être gérés par… les régions, la loi prévoyant qu’elles auront compétence sur tous les transports interurbains. Ce changement de dimension géographique et économique des régions aiguise les appétits politiques. Alors que les présidences des conseils régionaux attiraient jusqu’ici essentiellement des petits élus locaux sans notoriété particulière avant leur accession à cette fonction, plusieurs ténors nationaux, souvent déjà en situation de cumul des mandats, ambitionnent de s’installer dans ces nouveaux palais ducaux. Citons l’ex-secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, député-maire de Saint-Quentin et « présidentiable » autoproclamé, qui vise la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie ; le socialiste Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, qui brigue en Île-de-France la succession de son camarade Jean-Paul Huchon, poussé vers la sortie ; le sarkozyste Christian Estrosi, déjà député-maire de Nice, dont il préside la métropole, qui veut étendre son pouvoir sur la Paca ; ou Laurent Wauquiez, secrétaire général du parti Les Républicains, député-maire du Puy-en-Velay, qui s’est lancé à la conquête d’Auvergne-Rhône-Alpes… Les grosses écuries sont déjà en campagne. Car l’enjeu régional se double d’un enjeu politique national. L’élection de décembre étant la dernière avant la grande explication électorale de 2017, les trois premiers partis entendent profiter du scrutin pour se positionner au mieux en vue de cette échéance. Après ses déroutes aux élections municipales, européennes et départementales, le PS, aux commandes de 21 des 22 régions métropolitaines, espère une stabilisation de son recul électoral qui limiterait les pertes, jugées inévitables. Il escompte aussi, à la faveur du mode de scrutin [^2], rassembler sur ses listes, au moins au second tour, la gauche et les écologistes, et montrer ainsi à l’approche de 2017 que « l’union de la gauche » fait de la résistance.
Pour convaincre ses partenaires, Solférino met déjà en avant la menace du Front national et la nécessité de barrer la route à la droite. Au regard de ses résultats électoraux en 2014 et en 2015, l’extrême droite pourrait arriver en tête du premier tour dans plusieurs régions et se maintenir au second tour partout sauf en Corse ; elle pourrait l’emporter dans le Nord-Pas-de-Calais, où Marine Le Pen vient de se porter candidate, ainsi qu’en Paca. La droite, unie par un accord qui donne dix têtes de liste au parti Les Républicains et trois à l’UDI, est bien placée pour emporter six régions (Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, Paca, Pays de la Loire, Île-de-France, Centre, Bourgogne-Franche-Comté) où l’écart gauche-droite, en 2010, serait surmontable. Face à ce « tripartisme » installé depuis 2014, c’est du côté de la gauche et des écologistes que pourraient venir des surprises. Certes, l’alliance un moment envisagée entre EELV, le Front de gauche et Nouvelle Donne, signataires en début d’année d’un appel à ouvrir des « Chantiers de l’espoir », a fait pschitt. Début mai, EELV décidait de présenter des listes « autonomes du PS » et désignait dans la foulée ceux qui les conduiront. Quant au Front de gauche, il est divisé sur la stratégie à adopter. C’est patent en Île-de-France, où Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale d’EELV, annonce avoir bouclé sa liste ouverte à des non-encartés, tandis que les composantes du Front de gauche organisent des réunions séparées. Le PG, qui souhaite favoriser une implication citoyenne, a initié un appel en vue de constituer des assemblées citoyennes qui décideraient du projet et de la composition des listes. Le PCF s’est lancé, lui, dans une campagne participative plus classique (voir reportage). « Un peu comme en 2004, on a l’impression que le PCF veut s’entourer de compagnons de route qui lui apportent le supplément d’âme qui permet de sauver les meubles », analyse Clémentine Autain. La porte-parole d’Ensemble !, qui regrette le temps « perdu » dans cette région qui « cristallise les problèmes nationaux », déplore plus encore « la porte fermée » par Emmanuelle Cosse, dont « l’alliance nouée » avec Cap21 « n’est pas de nature à permettre un rapprochement » .
Inimaginables dans la région capitale, des listes à la mode grenobloise sont toutefois bien avancées dans d’autres régions. Et d’abord en Auvergne-Rhône-Alpes, où, après un appel de militants politiques, associatifs et syndicaux, et des élus, publié en décembre, suivi de nombreuses réunions, les assemblées d’EELV, du PG, d’Ensemble ! et de Nouvelle Donne ont validé le principe d’une liste au service du rassemblement citoyen dont l’ambition est de virer en tête de la gauche au 1er tour. Les militants communistes décideront en septembre s’ils participent à ce rassemblement mené par un binôme régional – Jean-Charles Kohlhaas (EELV) en sera la tête de liste et Corinne Morel Darleux (PG) la porte-parole –, mais renâclent encore sur sa « charte éthique » qui interdit le cumul des mandats de parlementaire et conseiller régional. Leur chef de file, Cécile Cukierman, vice-présidente à la région, est également sénatrice de la Loire. Cette formule verte-rouge et « citoyenne » serait en bonne voie en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, avec Gérard Onesta (EELV) en tête de liste, ainsi qu’en Paca, où les écologistes ont proposé d’ « être le moteur du rassemblement des forces de gauche et progressistes ». Éric Coquerel, coordinateur du PG, n’exclut pas la « possibilité d’autres accords larges », notamment dans le Centre ou dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. Mais comme en Île-de-France, où les discussions se poursuivent cet été, tout se décidera d’ici à la fin-septembre.
[^2]: Le scrutin est à la proportionnelle à deux tours, avec une prime de 25 % des sièges accordée à la liste arrivée en tête. Les listes ayant obtenu 10 % des suffrages au premier tour peuvent se maintenir ; celles ayant passé la barre des 5 % sont autorisées à fusionner.