Alternatiba : Un contre-la-montre festif et engagé
Parti début juin de Bayonne, l’AlterTour de France de l’association Alternatiba arrivera le 26 septembre à Paris et espère marquer les consciences. Chaque étape est l’occasion d’échanges avec le tissu associatif local, comme ici à Besançon.
dans l’hebdo N° 1363-1365 Acheter ce numéro
C’est dans les fesses que les 2 300 kilomètres se font le plus durement sentir. Sur une triplette (vélo à 3 places), le moindre mouvement des équipiers pèse sur les bras du cycliste de tête. « Alors on essaye de ne pas bouger. Ça fait mal au cul », rit Txetx Etcheverry, aîné de la joyeuse bande de militants de Bizi, association écologiste bayonnaise à l’origine d’Alternatiba. Un an et demi après le premier forum, le mouvement du même nom – qui compte aujourd’hui 129 équipes locales – a réuni 68 000 euros de dons et s’est jeté sur l’asphalte brûlant, le 5 juin, pour 112 jours et 5 000 km d’un défi « enthousiaste ». « C’est le tour de France des alternatives au réchauffement climatique », hurle une sono montée sur un triporteur de 150 kg. Joan, son conducteur, se plie en deux à chaque coup de pédale, mais garde un sourire généreux.
Alternatiba a essaimé dans tout le pays à une vitesse déconcertante grâce à la fraîcheur de son discours et à l’originalité de ses actions. « Après le succès du premier forum, à Bayonne, on pensait qu’il s’agissait d’une mobilisation propre au Pays basque, mais depuis il y a eu des Alternatiba avec autant de monde à Nantes (lire Politis nº 1293, 6 mars), à Lille et dans beaucoup d’autres villes », raconte Barth, qui a quitté le NPA pour Bizi lorsqu’il s’est installé à Bayonne pour le travail. « Quand je suis arrivé, ils m’ont demandé ce que je savais faire : “ De l’alpinisme ? Alors nous grimperons sur la façade de la mairie pour y mettre une banderole … ” Nous sommes tous mis à contribution. Et pas comme des simples colleurs d’affiches. » Le visage rougi par huit heures d’effort sous un soleil de plomb, la dizaine de cyclistes et leurs deux triplettes étaient attendus à Besançon le 16 juillet par une « vélorution » et un concert de sonnettes. Ce soir-là, comme à chaque étape de leur tour, ils sont accueillis par des volontaires locaux. Marie-Odile n’a pas retenu le prénom de Txetx et « des gens de Bayonne », mais elle reprend leur discours avec entrain. « Nous voulons absolument sortir de notre cercle militant », fait valoir l’ancienne adjointe au maire, mobilisée tout l’été par l’organisation d’un forum Alternatiba à Besançon les 17 et 18 octobre prochains. « Nous devons garder un discours concret pour promouvoir les alternatives ! »
En cuissard moulant, la sueur à peine épongée, Txetx démarre un plaidoyer devant une cinquantaine de personnes. Calmement, avec son accent basque prononcé, il dresse un constat alarmant. « Le réchauffement climatique, c’est comme une poussée de fièvre à l’échelle de la planète. La température terrestre a déjà augmenté de 0,85 °C en 130 ans et il y a assez de gaz à effet de serre dans l’atmosphère pour qu’elle augmente encore de 1,5 °C », lance le militant, salarié au syndicat basque Ela dans la vie civile. « On fonce vers les +5 °C, soit le niveau moyen de température qui nous sépare de la période glaciaire, lorsque l’Europe était sous 2 000 mètres de glace ». Il faut aussi penser aux « seuils de basculement et d’emballement climatique » : « À +3 °C, apparaissent des phénomènes climatiques comme la fonte des glaces – le permafrost –, qui risque de rejeter dans l’atmosphère une immense quantité de méthane qui aggravera encore le phénomène. » Voilà pourquoi ils pédalent. À la nuit tombée, la bande aux tee-shirts verts se retrouve en petit comité autour d’un plat de lentilles. Roybon, Grenoble, Lyon… Ils donnent un aperçu des surprises qui jalonnent leur parcours. « En préparant ce tour, nous pensions manger un sandwich à midi et faire une petite conférence dans notre ville-étape le soir. Résultat, nous sommes reçus par des centaines de personnes, même le midi, et plusieurs villes ont organisé de vrais Alternatiba », raconte Txetx. À Martigues, la fanfare municipale et un grand forum les attendaient. Même scène à Marseille, cours Julien, malgré l’interdiction administrative apposée par la mairie, qui craignait que la vélorution n’encombre la circulation.
Barth ouvre aussi des grands yeux pétillants pour évoquer les dizaines de rencontres qui les attendent une fois le pied posé à terre. Les communautés autogérées, les ZAD et autres lieux de résistance, tous porteurs d’alternatives concrètes dont il ne soupçonnait pas la richesse. « Nos étapes sont tellement riches qu’il n’y a que lorsqu’on est sur le vélo qu’on peut se reposer », sourit Txetx. Minuit, sur le trottoir de Besançon où deux grandes tables ont été dépliées, les cyclistes cèdent à la fatigue. Laurent, quasi-quadra, n’est pas à la fête. Une pièce de la quadruplette s’est brisée pendant la vélorution. Sa matinée de repos, le lendemain, s’annonce noire. Couleur cambouis. Attiré par Bizi parce qu’il était voisin de leur local et que « dans écologique, il y a logique », ce « pauvre et fils de pauvre » a vu de ses yeux les conséquences du réchauffement climatique depuis le bateau de pêche où il a travaillé pendant cinq ans. « Le “baliste ”, une espèce qu’on qualifie de “nuisible ” et qui vit dans des eaux à 14 °C [et en zone subtropicale], prolifère dix mois dans l’année. Ça ne dépassait pas six mois par an il y a quelques années », raconte-t-il. « À Bayonne, cet hiver, la mer a avancé de 10 mètres en moyenne sur le trait de côte », ajoute Txetx. « Les vagues ont emporté un SDF qui dormait dans une rue où nous n’avions jamais vu d’eau ! » S’ils n’attendent rien de la conférence des Nations unies sur le climat (COP 21) qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre à Paris, ils roulent pourtant avec de bonnes nouvelles. Les alternatives sont à portée de main. « Si des centaines de milliers de personnes mettent leur épargne dans des banques responsables et se mettent à manger local, ça peut faire système, assure Txetx.
Notre alimentation représente environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous avons donc le moyen d’agir. » Pour le reste, et la « bataille globale qu’il va falloir gagner », Alternatiba a un plan. Écumer la France jusqu’au 26 septembre. Le 6 août à Lille, le 31 à Notre-Dame-des-Landes, le 10 septembre à Bordeaux… Les dernières étapes seront « ouvertes » à davantage de sympathisants, alors que le groupe a pour l’instant vocation à rester en comité réduit pour des raisons de sécurité routière. Une vélorution géante et deux jours de forum sont prévus les 26 et 27 septembre à Paris, avec au moins 50 000 personnes espérées. Naomi Klein a promis d’en être. La mobilisation doit ensuite s’amplifier pendant les travaux de la COP 21 avec un forum des alternatives (Montreuil, 5 et 6 décembre) « devant les médias du monde entier », un camp climat réunissant les organisations écologistes de tous horizons (Paris XIXe, du 7 au 11 décembre), ainsi qu’une grande marche le 12 décembre. La réflexion sur l’après-COP 21 est déjà enclenchée et sera approfondie durant le camp climat qu’Alternatiba compte installer sur l’Île-Saint-Denis pendant les deux semaines de la conférence, avec quelque 200 militants prévus. « Tout va se jouer très vite. S’il n’y a pas d’action très forte entre 2015 et 2020, nous n’échapperons pas aux + 3 °C. Et ce processus est irrémédiable », prévient Txetx.
Là aussi, il veut croire aux « effets de seuil » : « La prise de conscience ne sera pas un phénomène linéaire, il va y avoir des accélérations brutales. Lorsque 5 à 10 % de la société sera mobilisée, nous gagnerons la bataille », assure-t-il. Le succès d’Alternatiba en est un témoignage parmi d’autres. En devenant une force sociale, le mouvement a montré qu’il pouvait remporter des victoires. Comme en décembre 2014, lorsque la Société générale a dû se désengager du gigantesque projet minier « Alpha Coal » sous la pression des organisations écologistes, dont Bizi, qui avait communiqué un programme détaillé d’actions contre la banque pendant plus d’un an. Une victoire symbolique qui en appelle beaucoup d’autres.