Chacun cherche son site (de rencontre)
Infidèle ? Chrétien ? Gay ? Moustachu ? Chaque « catégorie » de population est susceptible de trouver âme sœur à son pied dans ce qui évoque beaucoup un vaste hypermarché de la rencontre.
dans l’hebdo N° 1363-1365 Acheter ce numéro
Il y en a pour tous les goûts. Vous êtes pauvre ? Allez sur « Meetcrunch », un site de rencontres entièrement gratuit. Vous ne supportez de parler qu’à des gens de gauche ? « Gauche Rencontre » est fait pour vous (existe aussi pour la droite et le centre). Vous aimez les moustaches ? « Stachepassions » ! Les variantes sont infinies depuis la création du précurseur des sites de rencontres, Meetic, en 2001. Le Web hexagonal compte plus d’un millier de sites de dating, sur lesquels quatre Français sur dix se sont déjà inscrits au moins une fois [^2]. Et le marché est plus vigoureux que jamais : les plateformes rivalisent de nouvelles technologies et de modes de recherche plus performants les uns que les autres. « Les sites se “ringardisent” avec le temps, il faut toujours innover », estime Florent Steiner, cofondateur d’AdopteUnMec, 21,5 millions d’euros de chiffre d’affaires, 10 millions d’inscrits… et lui-même en passe d’être détrôné. « Meetic a été dépassé par AdopteUnMec, qui a lui-même été dépassé par Tinder. Chaque nouvelle appli rend son prédécesseur démodé », s’amuse Brice*, 30 ans, utilisateur de ces plateformes depuis cinq ans. La société de consommation a-t-elle conquis nos cœurs ? À l’instar d’AdopteUnMec.com, qui arbore un petit Caddie pour logo, les sites de rencontres utilisent, dans leur fonctionnement même, les techniques de la grande distribution pour rechercher le partenaire parfait. Première étape, trouver le bon site qui mènera vers la « cible » adéquate. « Les sites se structurent et se différencient en fonction de trois éléments principaux : l’identité sexuelle, les caractéristiques sociales de la population ciblée et la catégorisation normative en différents “types” de relations amoureuses et sexuelles », explique la sociologue Marie Bergström [^3]. Autrement dit, un gay se rendra sur Grindr, un bon chrétien sur Iktoos et un adepte de l’amour infidèle jettera son dévolu sur Gleeden…
Chez ces successeurs de l’antique Minitel rose, peu de place pour l’aléatoire. Âge, lieu d’habitation, description physique avec ou sans photo, personnalité, profession… Il faut rapidement tout passer au crible pour éviter la moindre « erreur » dans sa recherche éperdue. On zappe au moindre critère non conforme à ses attentes, à grand renfort de « coups de cœur » ou de blocages sur liste noire. « La recherche active d’un partenaire dans un espace qui y est consacré est rapidement assimilée à l’achat de services sexuels, décrypte encore Marie Bergström [^4]. Très loin de l’idéal romantique du hasard et du destin, le couple y transparaît comme le produit d’un accord négocié. » Au risque de perdre ce qui fait la magie de la rencontre amoureuse : l’inattendu. Brice le reconnaît : « On obtient tout ce qu’on veut quand on veut, mais on perd la satisfaction d’obtenir le numéro d’une fille après lui avoir parlé pendant cinq heures à une soirée. C’est dommage. » Ce qui n’empêche pas cet utilisateur de Tinder – la dernière application en vogue, qui permet de géolocaliser une partenaire en temps réel – de continuer à privilégier la rencontre virtuelle. « Il est vrai que cela nous coupe de personnes qui ne nous correspondent pas sur le papier mais qui auraient pu nous plaire dans la vraie vie, reconnaît Solène Paillet, responsable de la communication de Gleeden, qui, grâce à ses campagnes de pub provoc, s’est positionné comme le principal site de relations extraconjugales. En revanche, notre outil permet de faire beaucoup plus de rencontres. »
Toutefois, si le succès des sites repose sur cette promesse commerciale d’aider le « consommateur » à choisir l’élu(e), l’infinité de partenaires potentiels peut provoquer l’effet inverse : une paralysie devant la profusion de l’offre et, en fin de compte, l’impossibilité de prendre une décision durable. « Il faut sans doute voir [dans le recours croissant à ces sites] une sorte d’anxiété sociale […], la crainte d’être empêtré dans une situation médiocre alors qu’on pourrait trouver quelqu’un de plus conforme à ses attentes », résume l’étude Ifop/ CAM4. L’infinité des choix n’a pas vraiment été un problème pour Camille*, 23 ans. La jeune femme s’est inscrite sur Tinder il y a un an, en emménageant à Paris. Elle y a rencontré Pierre*, son compagnon depuis huit mois. « Je suis assez difficile, le choix était donc plutôt limité : sur 50 demandes, je sélectionnais cinq mecs au maximum à qui je répondais. » L’essentiel étant peut-être non d’avoir le choix, mais de savoir ce que l’on cherche.
[^2]: Selon une étude Ifop/CAM4 publiée le 28 mai 2015.
[^3]: « La toile des sites de rencontres en France », Réseaux, n° 166, 2011.
[^4]: « La loi du supermarché ? Sites de rencontres et représentations de l’amour », Ethnologie française, vol. 43, 2013.