Grèce, cas d’école des impasses du capitalisme
On pressure la Grèce pour maintenir la croissance ailleurs.
dans l’hebdo N° 1363-1365 Acheter ce numéro
L’expérience menée par la troïka en Grèce montre les limites du capitalisme. Sans revenir sur les conséquences récessives de la politique d’austérité depuis 2010 (perte d’un quart du PIB), il faut rappeler que le capitalisme est un système fondé sur l’accumulation infinie du capital… et des dettes. Pour fonctionner, l’arithmétique de l’austérité nécessite un excédent primaire (solde budgétaire hors remboursement de la dette) plus élevé que l’écart entre les intérêts versés par l’État et l’excédent de richesse créé. Dans le cas contraire, le ratio dette/PIB augmente [^2], ce qui signifie que la dette s’accroît mécaniquement du fait du paiement des intérêts. Le problème est que ce risque est amplifié par l’austérité, qui provoque la baisse du PIB.
La sphère économique, celle qui produit la richesse, et la sphère financière, celle qui émet les dettes, sont intrinsèquement liées. La tragédie grecque est d’autant plus dramatique que les nouvelles dettes servent à rembourser les anciennes. En bon keynésien, Yanis Varoufakis l’avait compris. Sa politique était axée sur la réduction de la dette avant qu’il ne démissionne [^3] pour ne pas commettre les erreurs du traité de Versailles de 1918 [^4]. Or, avec le nouveau plan d’aide, on prélève dans la sphère économique (les Grecs) pour renflouer la sphère financière (les banques), comme en Allemagne après la Première Guerre mondiale…
La relation entre la sphère économique et la sphère financière est étroite. Il y a égalité entre le PIB et la quantité de monnaie en circulation, mais à un coefficient près, mesurant les habitudes de paiement et la vitesse de circulation de la monnaie. Par exemple, un billet de 50 euros est utilisé plusieurs fois durant une année, et chaque fois c’est une activité comptabilisée dans le PIB. Ainsi, le PIB augmente si la masse monétaire en circulation augmente ou si un euro est utilisé plus souvent. Dit autrement, il ne peut y avoir de croissance sans augmentation de la masse monétaire. Or, celle-ci augmente lorsqu’il y a création monétaire, principalement à travers le crédit bancaire (« les crédits font les dépôts »). Symétriquement, un remboursement de crédit correspond à une destruction monétaire. Donc il ne peut y avoir de croissance que si les émissions de nouveaux prêts sont plus importantes que les remboursements des anciens crédits.
Ainsi, le capitalisme est une fuite en avant. Toujours plus de capital créé, plus de croissance, plus de nouveaux crédits… et plus d’exploitation. Comme dans tous les pays du Sud exploités avec le soutien du FMI, on pressure la Grèce pour maintenir la croissance ailleurs. L’augmentation des inégalités n’est que la conséquence de la baisse inéluctable de la croissance économique. La croissance des Trente Glorieuses a certes permis de réduire les inégalités en Occident. Mais, aujourd’hui, l’absence de croissance inverse le mécanisme : la minorité des plus riches pressure la majorité des pauvres. Or, pas plus en économie qu’en physique, le mouvement perpétuel n’existe. À l’échelle planétaire, l’accumulation de capital bute sur la finitude des ressources naturelles [^5]* . Par conséquent, des prêts ne seront jamais remboursés ici ou ailleurs.
[^2]: Pour une analyse détaillée, lire « Grèce : l’économie politique du crime », Michel Husson.
[^3]: Voir « Pourquoi l’Allemagne refuse d’alléger la dette de la Grèce », Mediapart, 12 juillet 2015.
[^4]: Voir Keynes, les Conséquences économiques de la paix (1919).
[^5]: Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf, Le Seuil, 2009. *
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.