Grèce : Un plan « insensé » qui aboutira au Grexit
Un économiste libéral et deux économistes proches de Syriza analysent l’accord imposé à la Grèce par les créanciers. Correspondance à Athènes, Angélique Kourounis.
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Il est une chose sur laquelle les économistes de droite comme de gauche sont d’accord : le plan de réformes imposé à la Grèce par les créanciers est un plan qui comporte essentiellement des mesures récessives. « Cela, pour au moins deux à trois trimestres », souligne Manos Hatzidakis, de Beta Securities, une agence de cotation entrée en Bourse. Pour lui, la seule solution pour limiter cette récession « est la mise en place très rapide des réformes structurelles » dont le pays à besoin. C’est-à-dire des réformes « qui ont une logique qualitative et non quantitative comme c’était le cas jusqu’à présent ». Le financier cite la libéralisation de métiers réputés fermés comme, entre autres, les notaires, les ingénieurs, ou l’ouverture des commerces le dimanche, mesure qui, selon lui, « avait porté ses fruits lorsque les conservateurs l’avait introduite ». Du Macron à la sauce grecque !
Pour cet homme, qui a voté « oui » au référendum du 5 juillet, le programme imposé de réformes d’un montant de 13,5 milliards d’euros est « très lourd », surtout pour un pays dont l’économie s’est dégradée avec la fermeture des banques. Selon lui, le maître mot est « confiance ». Quand la confiance sera « rétablie » entre la Grèce et les créanciers, assure-t-il, « les investisseurs vont revenir et, petit à petit, la situation se normalisera ». Mais complète-t-il, « il faudra constamment avoir un œil sur les déficits de façon à ne jamais les laisser dépasser les limites imparties ». Manos Hatzidakis est confiant : « Les marchés, insiste-t-il, se réguleront d’eux mêmes. » Mission impossible pour Gabriel Colletis, proche de Syriza, qui enseigne l’économie à la faculté de Toulouse. « Cet accord est inapplicable. » Sur le plan politique, d’une part, « parce qu’il met la Grèce complètement sous tutelle », et sur le plan économique « parce que la Grèce, déjà en récession, va s’enfoncer dans une récession inouïe ». Pire, selon l’économiste, ce plan conduit tout droit vers la sortie de la Grèce de la zone euro. Deux exemples criants : la question de la TVA et celle de l’excédent budgétaire. Au terme de cet accord, l’excédent budgétaire doit graduellement augmenter de 2015 à 2017 de 1 %, 2 %, 3 % et 3,5 % du PIB, alors même que ces cinq dernières années le PIB s’est effondré de 25 %. Un chiffre que l’on retrouve « uniquement dans un pays en guerre », souligne pour sa part Athanase Contargyris, économiste cofondateur du mouvement Attac de Grèce. Pourcentage qui ne répond qu’à une logique de revanche si l’on se souvient que, dans les négociations précédentes, Alexis Tsipras avait réussi à arracher pour ces excédents budgétaires un peu moins de 1 % pour l’année en cours, 1 % pour la suivante et 1,5 % pour 2017.
En l’état actuel de l’économie, la seule solution pour arriver à 3,5 % d’excédent budgétaire, c’est de couper dans les dépenses. Cela veut dire, selon Gabriel Colletis, « un écrasement sans précédent des dépenses publiques, car il n’y a pas moyen d’arriver à un excédent budgétaire primaire par l’augmentation de la pression fiscale. Pour y parvenir, il faut réduire drastiquement, mais vraiment très drastiquement, les dépenses publiques. Et ça, c’est un élément extrêmement récessif. Si on écrase la dépense publique, s’il n’y a pas de soutien à la consommation, cela conduit tout droit à une récession accentuée ». À titre d’information, les dépenses dans le domaine de la santé ont déjà été réduites de plus de 25 %… Pour Athanase Contargyris, cela veut dire « que les objectifs fixés ne seront pas respectés ». Les créanciers vont dénoncer ce nouveau manquement au contrat de la part des Grecs, exiger encore plus d’austérité pour rétablir les écarts, « et on sera repris dans le même cercle vicieux de ces cinq dernières années, ou à chaque évaluation des créanciers on demandait encore plus d’austérité aux Grecs, qui n’arrivaient pas à appliquer les réformes décidées ». À cela, s’ajoute la question des 50 milliards de privatisations exigées. Les deux hommes sont d’accord. « On ne voit pas du tout comment on peut arriver à ce chiffre », estiment-ils. Mais Gabriel Colletis va plus loin : « Ces 50 milliards sont tellement proches du chiffre que les Grecs ont demandé comme allègement du fardeau de la dette que je me dis que c’est une pirouette. On a dit aux Grecs : “Vous voulez des nouvelles recettes pour alléger vos contraintes ? Eh bien, produisez les vous-mêmes ! Privatisez ce que vous pouvez privatiser !” » Dans le plan initial d’Alexis Tsipras, ces privatisations étaient calquées sur le modèle allemand, c’est-à-dire avec une participation de l’État. À présent, observe Gabriel Colletis, « elles sont comprises comme étant des privatisations totales, parce que pour arriver à une recette de 50 milliards d’euros, il y a pas d’autre moyen que de saisir la totalité des actions » .
Autre problème : la TVA. Au terme de ce plan, les professions libérales vont devoir verser, en plus de leurs impôts sur le revenu, 100 % d’avance de la TVA de l’année suivante. Un non-sens dans un pays en récession depuis sept ans. « Personne ne pourra payer, il n’y a pas d’argent », estime Athanase Contargyris. Il faut au préalable refaire totalement le système fiscal pour pouvoir percevoir l’impôt de façon plus juste, et pas l’inverse. » Il y a un « vieux proverbe, renchérit Gabriel Colletis, qui est un proverbe libéral mais tout à fait juste : “Trop d’impôt tue l’impôt.” » Manos Hatzidakis reconnaît que cette mesure « est très difficile à appliquer ». Mais il n’y a pas d’autre solution, selon lui : « Il faut, pour améliorer l’économie, des rentrées pour l’État. » L’alternative serait « que les banques financent les entreprises pour qu’elles investissent et fassent circuler l’argent ». Mais, pour l’instant, reconnaît-il, « elles ne le font pas. L’argent ne circule pas. Les gens thésaurisent ». Là encore, le plan de Tsipras, d’un montant de 8,5 milliards d’économies, avec lequel il était allé à Bruxelles négocier avec les créanciers était plus équilibré, tant sur le plan de la fiscalité, puisque pour la première fois les armateurs étaient taxés, que sur celui de la dette. S’agissant de la dette, il ne proposait pas de nouveaux emprunts, mais au contraire un allègement de la dette. « Alors que le plan actuel, si l’on peut appeler ça un plan, explique Gabriel Colletis, remet aux calendes grecques ce que Hollande appelle pudiquement “le reprofilage de la dette” et endette encore plus le pays. » Selon l’économiste de l’université de Toulouse, « accorder à long terme à la Grèce de nouveaux prêts – avec intérêt – implique que l’endettement de la Grèce va se creuser. On prête au pays pour faire rouler la dette, alors que Tsipras prenait une partie de la dette pour l’annuler. C’est totalement différent ». Restent la question des retraites anticipées stoppées net et celle de l’âge de la retraite repoussée à 67 ans dès la signature de l’accord, ce qui n’est valable ni en France ni en Allemagne. Avec un chômage à 28 %, cette mesure semble un non-sens car cela fait autant d’emplois en moins pour les jeunes, touchés à plus de 60 % par le chômage, mais elle répond à un seul et unique impératif : renflouer les caisses de retraites. « Elles sont vides, insiste Manos Hatzidakis, on ne peut donc rien faire d’autre. »
À Syriza, même si on était d’accord pour arrêter les départs à la retraite anticipée, on prenait le problème différemment. On pensait augmenter les salaires et donc augmenter les cotisations pour renflouer les caisses de retraite qui auraient été également soutenues par les futures rentrées d’un fonds de « mise en valeur des propriétés de l’État, mobilières, immobilières, énergétiques et minières ». Mais ce plan n’a pas été accepté. Pour Colletis, comme pour Contargyris, si on accumule la hausse de la TVA, « qui va étouffer la consommation », l’excédent primaire du budget, « qui va étouffer les dépenses publiques », et les privatisations, qui sont « complètement insensées », on arrive au Grexit. Un risque que, même un économiste conservateur comme Manos Hatzidakis reconnaît, bien qu’il veuille croire en l’aide que « les Européens veulent apporter ». Un risque que, mardi soir à la télévision, Alexis Tsipras n’a pas écarté. « Tant qu’un accord n’est pas signé, je ne peux rien exclure », a-t-il déclaré sur la chaîne publique ERT. Là-dessus, Colletis et Contargyris sont d’accord : « Si on ajoute à cette trajectoire économique impossible à tenir tous les abandons de souveraineté qui sont explicitement formulés, le tout sur un marché du travail dérégulé, on arrive à une implosion, voire à une explosion sociale. » « Chacun a voulu juste gagner du temps pour se préparer à ce Grexit », estime Gabriel Colletis, désabusé, « un Grexit annoncé comme une humiliation pour tout un peuple », renchérit Athanase Contargyris, qui s’en étrangle : « Il n’y a aucune logique économique à ce plan, mais uniquement une logique politique : faire tomber Tsipras à tout prix. On préfère un Grexit où l’on va perdre 100 % de la dette grecque plutôt que faire des concessions avec ce gouvernement. »