Julian Assange personna non grata en France
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De mi-juin à début Juillet, WikiLeaks, le site co-fondé par Julian Assange a repris du service. Un ensemble de documents a été mis en ligne et partagé avec plusieurs organes de presse dont Mediapart, Libération et le Süddeutsche Zeitung. Ils confirment ce qu’on savait déjà : la NSA espionne les dirigeants allemands et français, non pour les besoins de la lutte contre le terrorisme ou de la sécurité des Etats Unis, mais bel bien à des fins politiques et économiques. Une unité commune à la NSA et à la CIA baptisée «Special Collection Service» utilise pour ce faire des stations d’écoute clandestines installées sur le toit de ses ambassades et partage même certaines des informations ainsi collectées avec ses alliés proches, Grande-Bretagne, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. Les documents hautement confidentiels qui ont fuité révèlent que trois présidents français – Chirac, Sarkozy et Hollande – ont été successivement écoutés, mais aussi des ministères et certaines entreprises comme Airbus. Sont visés les contrats commerciaux importants, les projets de développement stratégiques (nucléaire, transports, énergie, communication etc) et les positions et négociations avec nos partenaires européens, en particulier à la veille des sommets G20 et G8 ou des discussions de traités européens. Ces nouvelles révélations ont suscité quelques déclarations offusquées de la classe politique française, l’ambassadrice américaine à Paris a été convoquée, un échange téléphonique a eu lieu entre Hollande et Obama mais aucun ultimatum ne semble avoir été posé pour faire cesser ces pratiques.
Suite à cet épisode, la Garde des sceaux Christiane Taubira a évoqué la possibilité d’accueillir en France Julian Assange et Edward Snowden. Une pétition signée par des personnalités comme Edgar Morin, Eva Joly, Thomas Piketty, Eric Cantona ainsi que des acteurs et des cinéastes a circulé. Dénonçant le fait que « depuis plusieurs années, Julian Assange et Edward Snowden payent du prix de l’exil leur courage. Persécutés, menacés, diffamés, coupés de leur entourage, soumis à un harcèlement constant, ils le sont pour avoir révélé la violation des droits de millions d’être humains et de la souveraineté de nombreux États, dont la France », les signataires y suggèrent que la France use d’un des moyens à sa disposition – asile constitutionnel, visa de long séjour, attribution d’un permis de résidence ou de la nationalité française – pour mettre fin à cette situation.
Espérant profiter de ce climat favorable, Assange a dans la foulée adressé, via les colonnes du Monde, une lettre ouverte à François Hollande. Il y retrace les débuts de WikiLeaks, la publication en 2010 de la fameuse vidéo « Collateral murder », montrant le massacre de civils par des soldats américains en Irak, et le harcèlement dont lui et les proches de l’organisation sont victimes depuis. « Ces persécutions sont pourtant bien réelles », écrit-il, « érigées en véritable politique par le gouvernement états-unien, elles se sont depuis étendues au-delà de mon cas et de WikiLeaks : l’administration Obama a ainsi poursuivi plus de journalistes et de sources lors de ses deux mandats successifs que tous les gouvernements états-uniens précédents réunis ». Menacé d’extradition vers les Etats Unis pour y être jugé pour espionnage et pour avoir aidé Edward Snowden à fuir, renié par son propre pays d’origine l’Australie, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis par la Suède suite à une plainte déposée pour un supposé viol, Assange a trouvé refuge à l’ambassade d’Equateur à Londres où il vit depuis trois ans et dix jours. « J’y dispose de cinq mètres carrés et demi pour mes usages privatifs, explique-t-il. L’accès à l’air libre, au soleil, m’a été interdit par les autorités du Royaume-Uni ; ainsi que toute possibilité de me rendre à un hôpital ; je n’ai pu utiliser le balcon du rez-de-chaussée de l’appartement que trois fois depuis mon refuge, à mes risques et périls, et n’ai jamais été autorisé à sortir pour faire de l’exercice. » Il n’a pas non plus la possibilité de recevoir ses enfants, dont l’un est français. Il demande donc à la France de lui « offrir la protection nécessaire contre, et exclusivement contre, les persécutions politiques dont je fais aujourd’hui l’objet », ajoutant qu’elle ferait là « un geste humanitaire mais aussi probablement symbolique, envoyant un encouragement à tous les journalistes et lanceurs d’alerte qui, de par le monde, risquent leur vie au quotidien pour permettre à leurs concitoyens de faire un pas de plus vers la vérité ».
Moins d’une heure après que sa lettre ait été transmise à l’Elysée, alors même que François Hollande était en rendez-vous, la réponse est tombée via un communiqué lapidaire : «Un examen approfondi fait apparaître que compte tenu des éléments juridiques et de la situation matérielle de M. Assange, la France ne peut pas donner suite à sa demande. La situation de M. Assange ne présente pas de danger immédiat. Il fait en outre l’objet d’un mandat d’arrêt européen ». Pas de place en France pour le lanceur d’alerte à qui l’Elysée conseille, par le truchement d’un commentaire fait à Mediapart, de faire une demande d’asile…
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