La COP 21 des citoyens
Avant la conférence Climat, qui se tiendra au Bourget en décembre, la Seine-Saint-Denis sensibilise les habitants aux gestes utiles.
dans l’hebdo N° 1360 Acheter ce numéro
À l’orée de la COP 21, les initiatives citoyennes n’ont pas attendu que l’environnement soit inscrit à l’agenda international pour mobiliser sur le sujet. Le long de la nationale qui sépare Le Bourget du Blanc-Mesnil, une drôle de procession défile le nez en l’air, guettant les avions qui survolent la zone même le dimanche. En tête de ce cortège, Jade Lindgaard, journaliste à Mediapart, attend que les jets tracent leur route pour prendre la parole. « Aujourd’hui, nous pointons du doigt la pollution atmosphérique, les nuisances sonores et les problèmes de santé liés au trafic de l’aéroport du Bourget », annonce-t-elle aux 80 personnes rassemblées pour ce Toxic Tour Detox, une balade peu ordinaire en Seine-Saint-Denis.
Lancées il y a un an, ces promenades citoyennes entendent montrer aux habitants que la plupart des sites polluants sont sous leurs fenêtres. Et des sites toxiques, le département en regorge. Face à l’aéroport du Bourget, près des data centers énergivores d’Aubervilliers ou aux abords de l’autoroute A1, des HLM se dressent et des enfants jouent dehors, exposés quotidiennement aux nuisances. En 2013, selon Airparif, les niveaux de pollution autour de l’A1 dépassaient 139 fois le seuil limite. Et la Seine-Saint-Denis a été classée deuxième département le plus touché par la surmortalité lors de la canicule de 2003. L’insalubrité des logements en est la première raison.
Même si les politiques s’investissent plus particulièrement depuis un an, en raison du coup de projecteur de la COP 21, l’environnement est au cœur des préoccupations des associations et des habitants eux-mêmes, lesquels agissent depuis des années. Dans quelques mois, chefs d’État, grandes entreprises et ONG discuteront des enjeux du réchauffement climatique à l’échelle de la planète, mais la société civile compte aussi se faire entendre. D’autant que, si la COP 21 est qualifiée de « conférence de Paris », c’est bien la Seine-Saint-Denis qui l’accueillera. Et pas n’importe où : au Bourget. Pas très écolo, comme repère. « Il ne faut pas que les habitants prennent ce sommet comme une contrainte ou un événement dont ils sont exclus, résume Stéphane Troussel, président du conseil général de Seine-Saint-Denis. La transition énergétique ne peut pas être réservée qu’aux spécialistes et aux bobos. »
Cette transition demande souvent des moyens financiers supérieurs à ceux dont disposent la plupart des foyers de ces quartiers. Le rôle des associations pour apprendre les gestes utiles aux habitants est donc primordial. Le département a lancé une session d’appel à projets labellisés « Engagés pour le climat ». En jeu : 200 000 euros à répartir entre 50 associations. « C’est surtout symbolique, mais c’est utile de savoir qu’on est reconnu, même si ça fait des années qu’on agit », souligne Marie-Noëlle Botte, fondatrice des Fourmis vertes. Installée à Montreuil, cette association donne depuis plus de dix ans des conseils pratiques aux habitants des quartiers pour allier économies financières et énergétiques. « On pose notre appartement itinérant pédagogique en bas des immeubles et on explique comment mieux consommer pour limiter la fonte de la banquise – mais sans être moralisateur ! », assure-t-elle.
L’habitat et les actions en porte-à-porte sont les clés des associations pour mobiliser les quartiers populaires. Mais, désormais, même les organismes comme l’Agence locale de l’énergie et du climat (Alec) ou les Points information médiation multiservices (Pimms) lancent leurs actions de sensibilisation. À Sevran, le local du Pimms est ancré dans le quartier des Beaudottes, qui compte 1 200 logements. Les médiateurs enchaînent les ateliers dans les maisons de quartier pour expliquer comment lutter contre la précarité énergétique : des maquettes, des quizz, des kits écologiques…
Les acteurs de terrain sont unanimes : les Séquanodionysiens ne sont pas déconnectés des préoccupations climatiques. Certaines municipalités misent beaucoup sur l’environnement comme vitrine ou déclencheur de solidarités. Pour la commune de l’Île-Saint-Denis, c’est quasiment devenu un dogme. « Nous sommes une petite ville, mais cela montre qu’il n’est pas nécessaire d’être riche pour agir en faveur du climat », lance Michel Bourgain, maire EELV, fier d’être le premier élu à avoir signé le Pacte pour la transition citoyenne. Ce dernier engage la ville à réaliser d’ici un an cinq mesures, comme créer une zone de rencontre limitée à 20 km/h ou développer un projet d’agriculture biologique et citoyenne. Du côté de Stains, l’association d’architectes Bellastock a été missionnée pour construire un lieu convivial à partir de matériaux récupérés lors des déconstructions dans le quartier défavorisé du Clos Saint-Lazare. Palettes, volets et poteaux se transforment en bancs publics ou en tables de pique-nique.
« On travaille avec un collectif d’habitants pour leur rendre service en construisant ce lieu de vie, mais on en profite aussi pour les sensibiliser au réemploi et à la récupération », explique Antoine, ravi que les jeunes du quartier s’intéressent au projet. Avec les nombreux bâtiments industriels abandonnés, le réemploi a de l’avenir en Seine-Saint-Denis. L’esprit militant du département est de plus en plus souvent mis au service des luttes écocitoyennes. Dans les années 2000, des centaines de riverains s’étaient mobilisés contre l’établissement Saria, une usine d’équarrissage spécialisée dans le traitement de déchets de boucherie. Outre les odeurs nauséabondes, c’était le non-respect des normes environnementales qui était dénoncé. Un groupe de « renifleurs » s’était même formé pour analyser l’intensité de l’odeur dans le quartier. Aujourd’hui, lutter contre le grand projet de construction de 24 000 logements dans le parc de La Courneuve ou se battre pour l’enfouissement de l’autoroute A1 sont les combats des habitants, et pas seulement des écolos. « Dès que ça touche les questions de justice sociale, les gens se mobilisent », affirme Mathieu Glaymann, un fervent militant qui vit à Épinay.
En dehors du volet social, et dans la longue tradition des jardins ouvriers, les jardins partagés séduisent les riverains soucieux de biodiversité. Marie-Jo et Alejandro vivent dans le quartier depuis plus de trente ans et s’investissent pour défendre la nature depuis autant d’années. « Nous avions formé un petit groupe pour ramasser les déchets en plastique et les cartons bien avant que le tri sélectif n’existe. Et nous faisions des missions pour récupérer les frigos abandonnés dans les rues, se souviennent-ils avec amusement. On était des précurseurs ! » À l’ombre du figuier qui a donné son nom à ce petit jardin partagé de l’Île-Saint-Denis, ce couple d’optimistes arrose les plants de tomates, de framboises et de patchoulis qui s’épanouissent discrètement entre deux pavillons.