La (sur)vie continue pour les migrants d’Austerlitz
Trois cents migrants, en grande partie demandeurs d’asile, vivent sur les quais de Seine depuis un an et demi, dans l’angoisse d’une expulsion.
Un jour presque comme les autres pour les migrants du quai d’Austerlitz. Parmi les tentes Quechua disposées à côté de la Seine, certains jouent aux cartes, d’autres font leurs prières sur des tapis posés sur le sol. Mais autour d’eux, l’animation est plus dense que d’habitude. Des bénévoles arrivent, chargés de grands plats de tajine de poulet, de pain et de gâteaux. Ils viennent ce 17 juillet célébrer l’Aïd, la fête de fin du ramadan.
« On a voulu convier tout le monde à venir la célébrer avec nous, la plupart des migrants ont fait le ramadan » , explique Nabil. Ce Tunisien d’une quarantaine d’années est chargé de toute l’organisation du quai d’Austerlitz. Il indique à l’un où mettre les tables, à l’autre à quelle heure amener les enceintes. À le voir, on ne dirait pas qu’il fait lui aussi partie des migrants qui dorment ici. Et pourtant, il vit quai d’Austerlitz depuis le tout début du camp, il y a un an et demi.
Yousif, réfugié politique, sans logement
Austerlitz, ce sont en fait trois campements différents, situés sous le pont Charles-de-Gaulle, le pont d’Austerlitz et près de la Cité de la mode et du design (XIIIe arrondissement de Paris). Entre 200 et 300 migrants y vivent quotidiennement, une grande majorité de Soudanais mais aussi quelques Erythréens, tous demandeurs d’asile.
Pour gérer la vie quotidienne de ces centaines de personnes, Austerlitz s’est organisé comme une véritable petite cité. Chaque campement a son chef, les dons sont gérés par un comptable tandis que la nourriture est partagée équitablement entre les trois espaces. « Les associations se sont organisées, chaque jour l’une d’entre elles vient pour préparer le repas » , explique Patrice, un militant Europe Ecologie-Les Verts.
A côté de lui, Houria et Abdellatif s’activent justement pour installer le repas de l’Aïd. Les bénévoles du Secours Populaire ont apporté des nappes en tulle et aux étoiles pailletées pour donner un semblant de faste à ce repas traditionnel. Autour des tables couvertes de mets apportés par les associations et les particuliers, une quarantaine de personnes profitent de ce moment de partage.
Les langues se délient. Yousif, un réfugié soudanais, commence à raconter son histoire. Il faut faire appel à un traducteur arabe pour le comprendre, car il ne parle pas français, comme la plupart des personnes vivant dans le camp. Yousif a quitté son village au Darfour à cause de la guerre. Réfugié un temps en Libye, il a dû à nouveau s’enfuir, car les personnes noires y sont menacées et vues comme des rebelles. « J’ai risqué la mort pour trouver la stabilité. J’ai payé 500 dollars pour traverser la mer, on est restés en tout cinq jours sur l’eau » , raconte l’homme aux grands yeux noirs.
En passant par Lampedusa en Italie, il rejoint la France en 2014 et obtient rapidement le statut de réfugié. Mais toujours pas de possibilité de logement en vue. Depuis plus d’un an, Yousif vit jour et nuit au camp d’Austerlitz. Une histoire banale parmi ces destins brisés.
« Ils nous regardent avec de plus en plus d’insistance »
Le musicien Rouben Haroutunian détend l’atmosphère avec sa cithare. Bénévoles, soutiens et migrants écoutent avec attention ses mélodies arméniennes. Au son de la musique, joies, peines et nostalgies se lisent sur les visages. Une drôle d’ambiance, qui ne manque pas d’interpeller les passants. Par là, un jeune branché aux lunettes de soleil orangées, ici, un couple se tenant la main, au loin, un homme en vélo. Tous passent en dévisageant le camp.
« Avant les gens passaient sans nous voir, comme pour n’importe quel campement de SDF. Mais depuis l’expulsion de la Chapelle, ils nous regardent avec de plus en plus de curiosité » , commente Charles, l’un des soutiens du camp.
Depuis l’éviction forcée des migrants de la Chapelle, le campement d’Austerlitz ne passe plus inaperçu. Chaque jour, de nouveaux réfugiés viennent le rejoindre, qu’ils soient des anciens de la Chapelle ou des démunis attirés par le bouche à oreille.
Nadia est arrivée à Austerlitz il y a cinq jours. Cette Marocaine vit dans la rue depuis dix ans, à la suite d’une rupture familiale douloureuse. Étant l’une des seules femmes du camp, elle ne s’y sent pas franchement accueillie. « J’ai honte d’être là. Mais où aller sinon ? » , interroge-t-elle. « Il y a beaucoup de passage, des gens viennent, car ils ont entendu qu’il y avait à manger, ils ne participent à rien et disparaissent après quelques jours. Ça empêche la cohésion » , s’inquiète Nabil.
« Ici, les migrants sont livrés à eux-mêmes »
Derrière cette inquiétude, il y a surtout la menace de l’expulsion. Suite à l’évacuation très médiatisée du camp de la Chapelle et aux incidents de la halle Pajol, les autorités ont fait profil bas et ont promis de ne pas évacuer Austerlitz sans avoir trouvé de solutions de relogement. Mais cela semble trop beau pour être vrai. « Ils ne vont pas rester , assure, fataliste, Houria. À chaque fois que je viens au camp, je me demande s’ils seront encore là » . Et pour cause : 26 personnes réfugiées sous le pont d’Austerlitz sont déjà convoquées pour passer en jugement le 23 juillet.
Les migrants sont bien conscients de cette menace qui plane. Tout au long de l’après-midi, plusieurs d’entre eux balaient le sol et jettent les ordures pour garder les lieux propres. Tout faire pour éviter que les autorités utilisent le prétexte des risques sanitaires pour les déloger.
Mais l’insalubrité est loin d’être le principal problème du camp d’Austerlitz. Les associations ont surtout peur de l’absence de mobilisation. « A la Chapelle, il y avait beaucoup d’associations libertaires, d’extrême gauche qui s’étaient rassemblées autour. Ici, les migrants sont livrés à eux-mêmes , déplore Houria. Il faut que les gens soient mobilisés et viennent au camp le plus régulièrement possible » . Dans tous les regards, l’espoir d’empêcher une expulsion aussi catastrophique que celle de la Chapelle.
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