Les cruels dilemmes de Syriza

Le parti d’Alexis Tsipras est dans une situation paradoxale. Il connaît une crise très grave de contestation des choix gouvernementaux, mais reste majoritaire dans le pays. L’analyse d’Angélique Kourounis.

Angelique Kourounis  • 22 juillet 2015 abonné·es
Les cruels dilemmes de Syriza
© Photo : Tzortzinis/AFP

Une fois de plus, la gauche grecque, et plus particulièrement Syriza, se déchire. Sauf que cette fois le dilemme n’est plus théorique, mais on ne peut plus pratique. Le parti de la gauche radicale est au pouvoir, et il doit voter des textes de lois au Parlement. Des textes qui n’ont plus rien à voir avec les promesses électorales. Pire, non seulement ils sont l’émanation d’une politique néolibérale aux antipodes de celle de Syriza et de tout parti de gauche qui se respecte, mais de ce vote et de cette mise en application dépend l’injection de liquidités dans l’économie totalement paralysée du pays.

D’après Pablo Iglesias, leader de Podemos, allié espagnol de Syriza, l’accord grec « n’est pas un bon accord, mais c’était cela ou la sortie de l’euro ». Soumis à de vives attaques de la part de la droite sur « l’échec d’Alexis Tsipras », et alors que la campagne pour les législatives d’octobre prochain s’organise, Podemos cherche à rassurer l’électorat espagnol en multipliant les déclarations sur les « grandes différences » entre les économies espagnole et grecque. L’Espagne, avec une dette moitié moindre que la Grèce, a en effet renoué avec la croissance l’an dernier et table sur le chiffre flatteur de 3,3 % pour 2015, même si les difficultés sociales demeurent profondes. Pablo Iglesias présente l’accord avec l’Eurogroupe comme ayant été signé « sans marge de manœuvre » du fait de l’énorme dette grecque, mais aussi comme un gage de « stabilité » pour l’avenir, puisque cela donne « trois ans de liquidités » et que l’accord a permis à Tsipras d’obtenir que « le sujet de la restructuration de la dette soit enfin envisagé ». Une prise de position que critique Stathis Kouvelakis dans l’entretien ci-contre.
Sans doute Alexis Tsipras a-t-il cru sincèrement, naïvement selon ses détracteurs, qu’il pouvait changer l’Europe de l’intérieur. Et que la légitimité populaire, tant de son élection que du « non » massif au référendum du 5 juillet, allait infléchir les créanciers. Il a vaillamment, mais maladroitement, résisté pendant six mois aux coups de boutoir de l’Eurogroupe et du FMI. Au final, Syriza s’est trouvé face à un dilemme : rester fidèle à ses principes ou parer à l’urgence ? Les avis sont partagés et le risque de scission existe : 109 membres du comité central sur 201 ont rejeté cette austérité et demandé des explications au « camarade Tsipras ». Idem pour la jeunesse de Syriza qui appelle à un congrès extraordinaire. Enfin, 39 députés « syrizistes » ont voté contre le premier volet des « réformes » et s’apprêtent à faire de même pour le second. Voilà pour la contestation. En face, on a procédé à un remaniement ministériel, le premier de l’ère Tsipras, qui a éloigné tous les ministres et vice-ministres frondeurs, cinq en tout, remplacés par des fidèles de Tsipras. La priorité du gouvernement est désormais que ces réformes imposées par les créanciers soient adoptées au Parlement pour que de l’argent frais soit débloqué et d’imaginer des mesures « contrepoids » pour en atténuer les effets récessifs. « Partir et quitter le bateau est la chose la plus simple à faire », dit-on dans l’entourage de Tsipras. « Rester et prouver qu’un gouvernement de gauche peut être à la hauteur, y compris dans ces conditions, c’est autrement plus difficile. On doit relever le défi. »

C’est probablement ce qu’a voulu dire le nouveau ministre du Travail, Georges Katrougalos, soulignant, lors de sa prise de fonction, que « cet accord avec les créanciers n’est pas un nouvel accord de Varkiza. Nous avons gardé nos armes et ces armes sont le gouvernement ». Varkiza est l’accord historique où la gauche grecque, qui avait résisté aux nazis, avait dû rendre les armes en février 1945… Sauf qu’aujourd’hui ce gouvernement a perdu sa majorité, il est désormais soutenu par les conservateurs et les socialistes du Pasok. Une position intenable pour Alexis Tsipras, lequel a accusé les députés de Syriza de le lâcher à un moment où il a besoin d’eux plus que jamais. Et il a menacé : si, lors du prochain vote, moins de 120 députés de sa majorité votent pour les réformes exigées, il démissionnera. Et là se pose le second dilemme du parti : soutenir Tsipras malgré le mémorandum d’austérité au risque de devenir un parti « social-démocrate » comme le Pasok, ou rester fidèle à ses convictions, quitte à faire tomber le gouvernement et faire le jeu de Wolfgang Schäuble ? Un terrible cas de conscience ! Jusqu’à présent, le camp des pro-Tsipras l’emporte mathématiquement, mais cela ne met pas Syriza à l’abri d’une scission entre les « modérés » et les « purs et durs » menés par Panagiotis Lafazanis, ex-ministre de l’Energie démissionnaire. Il pourrait fonder son propre parti, crédité, selon le journal Dimocratia, de 12 % des voix. Si cela se vérifiait, il serait la troisième force politique du pays, mais emporterait avec lui toute velléité de gouvernement de gauche. D’où les appels à l’unité de Theano Photiou, vice-ministre de la Solidarité, qui a choisi de rester sur le navire : « Le programme de Thessalonique s’est écroulé, et on doit construire quelque chose de nouveau, sauver ce qui peut l’être. » Un argument d’autant plus audible qu’en cas d’élections Syriza obtiendrait encore 42 % des voix, selon les derniers sondages…

Monde
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