Les Kurdes : une guerre dans la guerre
Un retour sur l’histoire du Kurdistan pour décrypter les enjeux actuels.
dans l’hebdo N° 1361 Acheter ce numéro
Alors que Daech occupe aujourd’hui un tiers de l’Irak et la moitié de la Syrie, Gérard Chaliand et Sophie Mousset questionnent la place du peuple kurde dans le brasier moyen-oriental. Dans la Question kurde à l’heure de Daech, ils dressent le bilan de l’expérience qu’ils ont acquise sur le terrain. Gérard Chaliand est un spécialiste reconnu des conflits internationaux, auteur d’une trentaine de livres de géopolitique. Sophie Mousset est photographe et écrivaine. De 1999 à 2015, ils se sont rendus quasiment chaque année au Kurdistan d’Irak et connaissent également l’ensemble des espaces kurdes. Leur ouvrage met en évidence un conflit dans le conflit dans cet énorme dossier gigogne qu’est le Moyen-Orient. Celui des Kurdes pour leur émancipation. Le 10 juin 2014, la ville irakienne de Mossoul est tombée aux mains des jihadistes de Daech, et les troupes irakiennes se sont effondrées. Les Kurdes en ont profité pour prendre le contrôle de territoires qu’ils estimaient devoir leur revenir, avant d’être attaqués en août par Daech.
Les jihadistes n’étaient qu’à quelques dizaines de kilomètres d’Erbil, la capitale du Kurdistan, quand l’intervention de l’aviation américaine a évité le pire aux Kurdes. Mais, au nord de la Syrie, ce sont bien les peshmergas kurdes qui ont opposé une résistance héroïque à Daech pour reprendre finalement le contrôle de la ville frontalière de Kobané, en janvier dernier. Cela alors que, comme le soulignent Chaliand et Mousset, « la Turquie souhaitait la défaite » des Kurdes. Preuve manifeste de l’interférence du conflit séculaire turco-kurde dans l’affrontement avec les jihadistes.
Pour décrypter les enjeux actuels, l’ouvrage revient sur l’histoire du Kurdistan et du nationalisme kurde. L’identité des Kurdes est écartelée depuis un siècle entre quatre contrées : la Turquie, l’Iran, l’Irak et la Syrie. Les conflits passés, comme la guerre du Golfe de 1991 ou l’Irak en 2003, ont eu des conséquences importantes sur chacun de ces territoires. Il y a, en filigrane, la lutte ancestrale entre les sunnites et les chiites, mais aussi le rôle de certaines fractions arabes extrémistes qui ne veulent pas laisser le pouvoir aux Kurdes, sur fond de lutte entre Iraniens et Saoudiens. Si les Kurdes, sunnites à 80 %, sont l’une des seules forces régionales à combattre le jihadisme, c’est aussi parce que cela correspond à leurs aspirations démocratiques. « Le Kurdistan, écrivent les auteurs, est un territoire sur lequel ne s’exerce pas de discrimination religieuse ou ethnique, et où, au contraire, les minorités sont accueillies et protégées. » Ce qui est rare dans la région.