Les structures culturelles à la peine

L’Orchestre national des Pays-de-Loire, l’Espace Malraux de Chambéry, les 152 conservatoires ou encore le Festival du conte de Fumay doivent faire face à une coupe des dotations qui les menace dans leur existence.

Ingrid Merckx  et  Erwan Manac'h  • 9 juillet 2015 abonnés
Les structures culturelles à la peine

Même le Festival d’Avignon a été raccourci de quatre jours cette année. Si les grosses machines sont frappées, dans quel état sont les plus petites ? Moins de festivals, ou qui durent moins longtemps, moins de spectacles programmés, moins d’artistes sur scène, et des scènes qui ferment du fait des baisses de subventions. Le 6 juillet, le département du Nord a annoncé qu’il retirait un million d’euros aux Scènes nationales, structures labellisées et conventionnées pour l’exercice 2016. Comment continuer avec moins ?

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Zoom sur quatre grands domaines touchés : les orchestres, les scènes conventionnées, les conservatoires et les festivals.

Orchestre tourmenté

L’Orchestre national des Pays-de-la-Loire (ONPL) n’est pas rattaché à une ville mais à deux : Nantes et Angers. C’est une richesse, « mais ça complique un peu l’identification », commente Alain Gralepois, président du syndicat mixte de l’ONPL. Et, de fait, ça complique aussi l’investissement des six collectivités impliquées dans la gestion de cet orchestre. En 2009, les départements de la Sarthe et de la Mayenne avaient tiré leur révérence. Aujourd’hui, c’est le conseil général de Maine-et-Loire qui menace de partir. Étant donné qu’il finance l’ONPL à hauteur de 7,22 %, soit 464 373 euros, son départ serait lourd de conséquences. Le département juge-t-il que les autres partenaires pourront compenser ? C’est-à-dire la Région, les villes de Nantes et d’Angers, les départements de Loire-Atlantique et de Vendée ? Le Maine-et-Loire argue qu’il doit faire face à une hausse du coût du RSA, mais se vante moins du fait que le parc de loisirs Terra Botanica, vitrine touristique ouverte en 2010, est un gouffre financier. Facultative, la culture ? « L’ONPL est tout de même le plus grand orchestre de France en nombre d’abonnés : 9 000. Il réunit près de 100 musiciens, 140 000 spectateurs pour environ 200 concerts par an. Nous appliquons déjà un plan d’économies depuis deux ans, mais faire plus avec moins paraît difficile », soupire Alain Gralepois. Le conseil général a évoqué ce retrait comme « une piste de travail », et non comme une décision. Espoir ?

Chambéry, cas d’école

En Savoie, les 36 salariés de l’Espace Malraux, scène nationale de Chambéry, ont été placés à la fin juin en chômage partiel pour quatre mois, suite à l’annonce inattendue d’une baisse de 22 % de la subvention de la ville (soit 320 000 euros) sur l’exercice en cours. La municipalité, gagnée en 2014 par la droite, fait face à une explosion du coût de ses emprunts toxiques et à une baisse de 2,3 millions d’euros des dotations de l’État, qu’elle a répercutée par une diminution de 20 % de son budget culture. Par mesure d’urgence, pour éviter la liquidation judiciaire, l’Espace Malraux a donc dû annuler 15 spectacles d’ici au mois de novembre, et une dizaine d’autres ont été déprogrammés pour la saison 2015-2016. La structure craint désormais de perdre son label Scène nationale et le financement ministériel d’1,2 million d’euros qui s’ensuit. « C’est le risque, si nous ne pouvons plus mener les missions pour lesquelles l’État nous subventionne, comme le soutien à la création et des places à prix modérés », explique Marie-Pia Bureau, directrice de l’Espace Malraux. Avec cette baisse de subvention municipale, la structure devient l’unique scène nationale dont l’État est le premier financeur. « C’est un cas d’école, observe Marie-Pia Bureau. Nous devons chercher une solution avec l’État et la mairie pour prendre en compte ces difficultés et les réalités de notre fonctionnement, avec des coûts de personnel et de locaux élevés. » Les discussions doivent s’intensifier en septembre, après la publication d’un rapport d’inspection commandé par le ministère.

Conservatoires en sursis

Depuis 2012, la part des aides de l’État aux 152 conservatoires français a baissé de 10 % à 6 %, soit 30 millions d’euros. « Pour le conservatoire de Lyon, la perte représente 400 000 euros par an, soit 7 200 heures d’enseignement, explique Corynne Aimé, professeure de violon au conservatoire de Grenoble et secrétaire nationale à l’enseignement artistique du Snam-CGT. Il n’y a pas cinquante solutions : diminuer le nombre d’élèves, fermer des cycles de formation professionnelle, supprimer des conservatoires ou rogner sur les programmes à destination des publics empêchés et sur les activités novatrices. » Retour cinquante ans en arrière, avant le développement des conservatoires ? « Le ministère nous demande d’ouvrir des classes adultes, mais les baisses de dotations frappent d’abord ces classes. Il exige des conservatoires qu’ils s’ouvrent aux “nouvelles esthétiques”, mais les classes de jazz et de musiques actuelles existent déjà, de même que des diplômes de musique ancienne ou celtique ! Il semble que le ministère ait trouvé un moyen de conditionner ses aides. » Raison pour laquelle une large intersyndicale a occupé la Direction générale de la création artistique à Paris, le 9 juin, avant une grève nationale le lendemain. « La mobilisation a payé, estime la violoniste. Fleur Pellerin a annoncé qu’elle était prête à revenir sur l’abandon des conservatoires. Mais attendons de voir le projet de loi de finances 2016 pour nous réjouir. » Au bout du compte, une cinquantaine de conservatoires seraient très en difficulté. Même si dans certaines villes, comme à Grenoble, la mairie a compensé la baisse des dotations de l’État. Mais pour combien de temps ? « Si le soutien de l’État chute, certains maires vont être tentés de sortir du « label national » pour faire un conservatoire répondant à leurs règles. Veut-on former moins d’amateurs ? Moins de professionnels ? Revenir à six conservatoires pour toute la France ? »

Festival du conte torpillé

Après plus de dix ans de programmation, Canton Conte, le festival du conte de Fumay (Ardennes), n’a pas résisté au changement de municipalité du 23 mars 2014. La droite fraîchement élue a torpillé le service culture et avec lui le festival du conte, initié par la précédente majorité. « Durant la campagne électorale, pendant laquelle des accusations très dures et parfois personnelles ont circulé contre la municipalité sortante, la culture est devenue un enjeu au travers de vagues d’accusations contre une politique culturelle “clientéliste” pour “gauchistes séniles presbytes” », rapporte le texte de soutien au festival. « C’était un des deux rendez-vous phares de la région concernant les arts du récit. Il faisait salle pleine avec des conteurs de toute la France », regrette Fred Pougeard, du collectif de conteurs Front de l’Est. Après l’élection, le volet « Culture et patrimoine » de la politique municipale a été confié à un artiste, ancien collaborateur du festival, qui avait activement participé à la campagne municipale du nouveau maire. Il a entièrement revu la programmation, en captant les subventions du festival Canton Conte. Un appel, signé par plusieurs grands noms de la discipline, n’a pas permis de revenir en arrière. « La pétition n’a servi qu’à établir une liste noire des gens [que le nouveau service culturel] n’invite pas », regrette Fred Pougeard. En 2016, Fumay programmera pour la première fois… un cycle de « Rendez-vous contés ». Beaucoup d’artistes de Champagne-Ardenne devraient bouder l’événement.

Société
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