Mulhouse : L’emprunt, le maire et la dette
La mairie de Mulhouse a renégocié un crédit toxique dans la plus grande opacité, suscitant une forte opposition d’organisations associatives et politiques.
dans l’hebdo N° 1363-1365 Acheter ce numéro
C’est avec une attention particulière que le conseil municipal de la ville de Mulhouse, réuni le 29 juin, a été suivi par une poignée de militants, dont certains bataillent depuis plusieurs mois contre la renégociation d’un emprunt toxique de 13,1 millions d’euros. Un emprunt contracté auprès de Dexia en 2010 par l’ancien maire Jean-Marie Bockel (ex-PS). Ce jour-là, un protocole transactionnel était soumis au vote. Protocole dénoncé dans un tract par le Conseil populaire 68 pour l’abolition des dettes publiques (CP68) [^2], qui demandait aux élus de le rejeter en raison « de ses clauses infâmes ». Des conditions négociées discrètement entre la ville, Dexia-Crédit local, banque aujourd’hui démantelée, la Société de financement local (SFIL), un établissement public gérant les prêts toxiques de Dexia, et sa filiale, la Caisse française de financement local (Caffil).
Mais la majorité municipale a adopté ce protocole, qui devrait mettre un terme au contrat de prêt litigieux et à un procès engagé en 2013 contre Dexia et la SFIL. Certains élus ont de sérieux doutes sur les concessions accordées par la ville. « Pourquoi passe-t-on dans ce protocole de 13 millions d’euros d’emprunt toxique à 54 millions pour un nouveau contrat de prêt ? Pourquoi ne pas être allé jusqu’au bout du procès ? », s’interroge Djamila Sonzogni, conseillère municipale EELV, une des rares élues à s’être abstenue, avec le centriste Bernard Stoessel. Mais on n’en saura pas plus sur le contenu de la transaction, Jean Rottner, maire Les Républicains, s’étant engagé « à conserver le caractère strictement confidentiel » du protocole et « à ne pas communiquer dans les médias » l’ensemble « de ses termes et des négociations qui ont conduit à sa conclusion ». Cette clause inquiète Bernard Schaeffer, membre du CP68 : « Les élus affirment que la dette publique de Mulhouse est “maîtrisée”. Or, les caisses de la ville sont vides. Pire : le montant des dettes s’est considérablement accru ces dernières années. » Avec près de 172 millions d’euros en 2014, Mulhouse est l’une des grandes villes les plus endettées de France. En 2012, un rapport de la chambre régionale de la Cour des comptes, adressé à Jean Rottner, relevait déjà une gestion de la dette « incomplète et peu transparente. La délégation à l’exécutif […] ne donne manifestement pas lieu à évaluation et information au conseil municipal ». Après avoir tenté alors d’obtenir « des solutions de restructurations auprès de la banque », sans succès, le maire avait opté pour le procès en 2013. Puis changé de ton quand les intérêts de l’emprunt toxique litigieux ont grimpé vertigineusement. « L’emprunt “structuré” est indexé sur le cours du franc suisse, et la brusque remontée de la devise helvète en janvier explique que les intérêts prévus pour cette année augmentent de près d’un million, passant à 2,4 millions », explique Bernard Schaeffer, qui a évalué le taux d’intérêt à 25 %.
Devant l’urgence, la mairie indique avoir déposé en mars une demande d’aide au fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits toxiques. Elle estime avoir réalisé une bonne opération avec le protocole transactionnel. Dans une déclaration, Philippe Maitreau, adjoint aux finances, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’explication, estime que « cette restructuration permettra de réaliser 540 000 euros d’économies par an sur les annuités » et que « la ville devrait recevoir une aide de 8,7 millions d’euros » [^3].
Patrick Saurin, ancien chargé de clientèle auprès des collectivités publiques et spécialiste des dettes locales, réfute cette analyse : « Ce protocole transactionnel est une escroquerie », écrit-il dans une étude du texte réalisée à la demande de Politis. « La ville paye une indemnité supérieure au capital restant dû de l’emprunt (10,2 millions d’euros). Celle-ci s’élève à 14,2 millions d’euros, plus un montant non indiqué payé par le biais d’une majoration du taux de prêt. Or, la commune ne récupérera auprès du fonds de soutien qu’une faible part de cette indemnité – autour de 25 % maximum. » Bernard Schaeffer soupçonne la ville de céder aux conditions de « la loi scélérate de 2014 sur la sécurisation des contrats de prêts structurés des collectivités, qui a organisé une amnistie partielle des banques. Ainsi, quand les contrats sont renégociés, c’est une bonne affaire pour les banques de contrepartie, des banques privées qui ont assuré le risque pour Dexia et touchent ainsi des indemnités compensatrices » au titre du remboursement anticipé du contrat de prêt. Dans le cas de Mulhouse, la Barclays serait la banque de contrepartie qui a assuré le risque de ce contrat toxique pour Dexia [^4], et c’est elle qui devrait donc toucher l’indemnité.
À ces conditions s’ajoute un nouveau prêt de 30 millions d’euros, qui pose question à Patrick Saurin : « Dans la mesure où les banques se désengagent du marché des collectivités locales, pas assez rentables aujourd’hui, le nouveau financement de 30 millions n’a-t-il pas été consenti en échange de l’acceptation par la collectivité de la transaction sur l’emprunt toxique ? » La ville s’engage donc dans un contrat de prêt de plus de 54 millions d’euros au total, sur dix-neuf ans, à un taux d’intérêt fixe de 3,3 %, un prêt qui grossira encore la dette de la ville. « Le maire et son adjoint aux finances n’auraient-ils pas mieux à faire que d’indemniser des banquiers voyous ? », lance Bernard Schaeffer. Celui-ci regrette que la mairie n’ait pas suivi l’exemple du maire de Châteauneuf-les-Martigues (Bouches-du-Rhône), « qui a eu le courage de contester la légalité de l’indemnité de remboursement anticipé d’un emprunt toxique, en parlant de “vol”, et a poussé l’audace, lui, jusqu’à cesser de rembourser cette dette ».
[^2]: Animé par Action contre le chômage 25, À Contre-courant, Amis de l’émancipation sociale, Attac 68, Les Alternatifs de Franche-Comté, NPA Besançon et Mulhouse, PCF 68.
[^3]: L’Alsace du 30 juin.
[^4]: Selon la carte des emprunts toxiques des collectivités locales publiée par Libération en 2011.