Shakespeare mécanique

Dans le « in », une adaptation peu convaincante du Roi Lear par Olivier Py.

Gilles Costaz  • 8 juillet 2015 abonnés
Shakespeare mécanique
© **Le Roi Lear** , Cour d’honneur, jusqu’au 13 juillet (texte d’Olivier Py chez Actes Sud Papiers). Andreas, cloître des Célestins, jusqu’au 11 juillet. Tél. : 04 90 14 14 14. www.festival-avignon.com Photo : Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

On ne saurait juger immédiatement du 69e Festival d’Avignon. Le début simultané de plusieurs spectacles attendus nous a fait opérer un choix qui n’est peut-être pas le meilleur, mais nos deux soirées d’ouverture n’ont pas répondu à notre attente de canicule artistique. Pour les émotions esthétiques, on a froid ! Le Roi Lear de Shakespeare, réécrit et mis en scène par Olivier Py, nous laisse de glace… Le directeur du festival ** s’est attribué le cadre de la Cour d’honneur pour faire lui-même la mise à feu de la manifestation. C’est narcissique, mais c’est son droit. Malheureusement, ses visions n’ont rien pour illuminer la nuit provençale. Pour Py, le drame du roi Lear n’est pas seulement le désespoir d’un monarque vieilli qui, laissant son royaume à deux de ses filles, ne trouve de réconfort qu’auprès de sa troisième enfant – celle qu’il croyait la plus indifférente. Cette pièce ne serait pas seulement l’allégorie de la trahison, mais la prescience d’un XXe siècle où la violence et la guerre mettent à bas tous les idéaux.

« Ton silence est une machine de guerre »* ,** proclament d’immenses lettres lumineuses posées sur la muraille. Un large panneau zébré d’arabesques se fend et se retourne pour devenir une sorte de théâtre circulaire où les personnages se font face et s’interpellent. Un diable passe à moto. Les acteurs sont vêtus comme des fêtards des années 1930 : costards noir et blanc pour les hommes, robes fuchsia pour les filles du roi Lear, sauf Cordelia, qui est une danseuse en tutu (c’est peut-être la seule bonne idée du spectacle !). Puis l’apocalypse s’amplifie. Lear, dans une chemise de nuit crasseuse, disparaît et revient au milieu d’un tas de squelettes. Le sol est devenu terreux, excrémentiel, même. Des soldats et la mitraille tombent du ciel. Un trou se dessine dans la fange. Tous les héros, traîtres et victimes, seront aspirés par cet anus ou ces latrines ignobles. Le style d’Olivier Py ** s’oriente toujours vers la danse macabre. Sauf qu’il ne parvient pas à atteindre la grandeur effrayante des fresques funèbres qu’abrite, par exemple, l’abbaye de la Chaise-Dieu. Sa direction d’acteurs et son rythme sont trop mécaniques. Cela crie tant que l’on n’écoute plus. En outre, les effets sonores – coups de feu, explosions – produisent des décibels de concert de rock. Les acteurs, Philippe Girard (roi Lear en morceaux, saccadé), Jean-Damien Barbin, Nâzim Boudjenah, Amira Casar, Laura Ruiz Tamayo, Céline Chéenne, Matthieu Dessertine, ont une énergie de catcheurs. Mais leur implication athlétique ne donne que peu d’éclat à ce Shakespeare transformé en revue de cabaret délétère.

Au cloître des Célestins, le jeune metteur en scène Jonathan Châtel emploie un langage tout à fait opposé pour son adaptation du Chemin de Damas de Strindberg, devenu Andreas, dont il est à la fois l’auteur du texte français et le metteur en scène. Ici, tout est dépouillé. Le décor se limite à quelques éléments style Lego. Les acteurs, Pierre Baux, Pauline Acquart, Nathalie Richard et Thierry Raynaud, sont tels des passants dans la nuit. Le héros est un écrivain éloigné du jeu social, qui cherche sa vérité dans ses relations amoureuses et son errance. Le spectacle flotte un peu dans le cloître, comme s’il avait besoin d’une relation plus étroite avec le public. On reste un peu distant face à cette écriture symbolique, moins saisi qu’on ne l’avait été par le précédent spectacle du metteur en scène, Petit Eyolf, d’Ibsen, vu à Dijon.

Théâtre
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