Sortir de l’UE ou désobéir aux traités ?
À quelles conditions un gouvernement de gauche pourrait-il appliquer son programme dans l’Europe actuelle ? Quelle stratégie devrait-il adopter face à l’UE ? Ce débat, tranché par le PG à son congrès, est ravivé par l’expérience gouvernementale de Syriza.
dans l’hebdo N° 1363-1365 Acheter ce numéro
Je ne partage pas le point de vue exprimé dans le n° 1361 (9 juillet) de Politis, selon lequel « le PG clarifie son rapport à l’UE ». Je considère au contraire qu’il reste dans un flou extrêmement compliqué à faire comprendre à un électorat désorienté, qui ne se retrouve plus dans les arcanes opaques des caucus européens, et qui n’entend que les formules simplistes du FN et les analyses biaisées de la plupart des économistes et des journalistes.
Car, plutôt que de privilégier un référendum sur la sortie de l’UE qui lui était proposé, le PG a choisi d’agir « unilatéralement en violation des traités » sur les points névralgiques et d’engager « des négociations avec tous les États disposés à engager une refondation progressiste et démocratique de l’UE ». Si la première proposition avait le mérite d’être aisée à comprendre et d’une grande qualité démocratique, la seconde, retenue par le PG, renvoie à des initiatives gouvernementales et à des négociations intergouvernementales qui nous ramènent à ce qu’on ne connaît que trop depuis 1957. C’est oublier la leçon des dix années qui ont suivi le référendum de 2005 : l’UE n’est pas réformable.
Penser et faire croire qu’on peut appliquer les traités européens à la carte, c’est se tromper et tromper lourdement. Car c’est rester dans un cadre dont le gardien vigilant est la Cour de justice de l’UE (CJUE). Pour récuser la compétence et la jurisprudence de cette cour, il n’y a que deux options qui aboutissent au même résultat : récuser les arrêts de la CJUE ou dénoncer les traités, c’est-à-dire poser un acte de sortie de l’UE.
Comment peut-on un seul instant prendre au sérieux une proposition de négociations, à l’intérieur de l’UE, avec des gouvernements dont on ne cesse de dénoncer l’arrogance ultralibérale et le déni constant de démocratie ? Comment peut-on croire et faire croire que l’oligarchie serait disposée à céder et à concéder, dans le cadre d’institutions qui sont faites pour satisfaire son intransigeance ?
Je comprends l’embarras du PG, divisé en son sein sur la question de l’Europe et coincé entre un PCF qui croit encore qu’on peut, comme le PS à chaque scrutin européen, promettre une « Europe sociale » sans remettre en cause les traités et les arrêts de la CJUE et les Verts (EELV), dont l’eurolâtrie, ne l’oublions pas, a conduit ce parti à contribuer, à Versailles en février 2008, à l’entrée du traité de Lisbonne – le TCE, rejeté par la majorité des peuples de France et des Pays-Bas – dans le droit français.
La sortie de l’UE n’est pas une fin en soi. En particulier pour ceux qui ont compris la nécessité incontournable d’unir en tout état de cause les peuples d’Europe face aux multinationales et aux grands ensembles continentaux. Sortir de l’UE ne peut être qu’un moyen pour construire une autre forme d’union entre les peuples d’Europe.
Réclamer la sortie de l’UE, ce n’est pas « abandonner les autres pays à leur sort ». C’est au contraire créer un espace nouveau pour les peuples qui souffrent de l’UE et qui voient enfin un chemin pour unir les peuples dans l’intérêt des peuples.
Il est regrettable que le PG n’ait pas fait ce choix. Car qui donc, à gauche, va offrir une alternative claire et compréhensible au rouleau compresseur néolibéral de cette UE qui s’apprête, avec la complicité de 27 gouvernements (aussi longtemps que Syriza dirigera la Grèce, ce gouvernement-là ne sera pas complice de cette trahison), à vendre les peuples aux multinationales transatlantiques ? Ne pas comprendre la nécessité d’une proposition claire à gauche, c’est ériger le FN nationaliste en alternative unique aux serviteurs de l’UE.
L’expérience dramatique que traverse le peuple grec nous prouve une fois de plus qu’il est indispensable pour la gauche antilibérale d’affronter l’épineuse question monétaire et de préparer une potentielle sortie de la zone euro.
Elle doit le faire en France, non pas pour mimer le Front national et ainsi espérer égaler par ce biais sa réussite électorale, mais pour être certaine que quoi qu’il arrive, si elle est au pouvoir, elle sera en mesure d’appliquer son programme. Syriza a été élu en Grèce sur la sortie de l’austérité et non sur la sortie de l’euro ou de l’Union européenne. La majorité de Syriza était convaincue que ce n’était pas le mot d’ordre de sortie de l’euro qui lui permettrait d’arriver au pouvoir. Les faits lui ont donné raison. Mais son erreur la plus terrible est sans doute de ne pas avoir tout de même préparé cette sortie. La Grèce est ainsi condamnée à subir un énième et dramatique plan d’austérité et à devenir un protectorat allemand. Préparer un plan de sortie de l’euro n’est pas un outil électoral, mais bien une nécessité pratique.
Ce que porte aujourd’hui le Parti de gauche, c’est que, quel que soit l’état du rapport de force au niveau européen, s’il arrivait au pouvoir, il appliquerait son programme, en désobéissance avec les traités européens et avec un contrôle immédiat des mouvements de capitaux pour permettre la mise en place de sa politique. S’ensuivrait une crise diplomatique en Europe qui pourrait amener à une renégociation des traités. Mais elle pourrait également conduire au même étranglement que celui qui vient de faire plier le gouvernement d’Alexis Tsipras : le blocage des liquidités par la BCE. Alors, il faudrait sortir de l’euro et être prêt à cela.
Au Parti de gauche, nous assumons de travailler à un plan B : si notre stratégie de désobéissance aux traités n’aboutit pas à une refonte radicale des traités européens, nous organiserons une sortie négociée de la zone euro. Laquelle conduira à un changement radical de structure monétaire via l’instauration d’une monnaie commune. Celle-ci aurait un taux de change unique vis-à-vis des monnaies extérieures à la zone, et chaque pays membre retrouverait sa monnaie nationale.
La position du Parti de gauche est donc claire : nous ne ferons aucun sacrifice pour l’euro et nous en sortirons plutôt que de renoncer à notre politique. Mais nous considérons que le préalable au changement n’est pas la sortie, mais bien au contraire la bataille politique pour créer une crise diplomatique et politique au sein de l’Union européenne. C’est cette bataille qui, soutenue par les mouvements sociaux, permettra de conscientiser et de fédérer les peuples européens. Notre volonté stratégique est l’application de notre programme et donc la sortie de l’austérité. Faire de la sortie de l’euro ou de l’Union européenne un but en soi, c’est détourner notre combat de son horizon : sortir de la domination du capital sur la vie.
Notre sortie de l’euro et notre désobéissance aux traités mettront fin à l’Union européenne. Car il n’y a pas d’Union européenne sans la France. Ce ne sera donc pas à la France de sortir de l’UE, ce qui nous minoriserait et ferait le jeu de l’Allemagne et de ses alliés. La France devra construire d’autres solidarités avec les gouvernements qui le souhaiteront dans un nouveau cadre européen et internationaliste.
L’enjeu de la période est de se préparer à cette grande bataille politique et sociale. Ainsi, la France, avec ses immenses ressources politiques, économiques, sociales et diplomatiques, ne sombrera pas comme vient de le faire le gouvernement grec. Elle utilisera au contraire tout son poids pour aider les autres pays à vaincre l’austérité avec elle, et quel qu’en soit le prix à payer.