Les grandes manœuvres
Alexis Tsipras a pris tout le monde de court, les élections se tiendront probablement fin septembre. Avec le risque que la déception ne nourrisse les votes extrêmes. Correspondance, Angelique Kourounis.
dans l’hebdo N° 1366 Acheter ce numéro
Tout le monde s’y attendait, c’était même devenu la blague de l’été : élections ou pas élections ? Septembre ou octobre ? Quand Alexis Tsipras a fermé le Parlement pour les vacances d’été, tout le monde a soufflé. Les élections seraient pour octobre. Mais Tsipras en a décidé autrement, et elles auront lieu dare-dare, probablement le 20 septembre. Du coup, et c’était le but de l’opération, l’opposition conservatrice, socialiste-centriste et surtout celle au sein même de son parti, la fameuse aile gauche, n’aurait que quatre semaines pour s’organiser. C’était compter sans la farouche détermination de Panayiotis Lafazanis, à la tête de cette opposition, prêt à tout donner pour éviter au pays un troisième mémorandum d’austérité. S’il répugnait à faire tomber « le premier gouvernement de gauche », s’il a renouvelé les appels au camarade Tsipras pour « qu’il se ressaisisse », il n’était pas question pour lui de se laisser évincer du Parlement, ce qui est le but à peine voilé de ces élections anticipées.
Car, en organisant ce scrutin, Alexis Tsipras, visant la majorité absolue qu’il a loupée à deux voix près le 25 janvier dernier, a trois buts. D’abord, obliger les Grecs à valider son changement de politique, et donc calmer toute contestation de la rue. Ensuite, éliminer du Parlement la plateforme de gauche qui ne cesse de lui compliquer la vie en lui rappelant ses engagements passés. Enfin, donner un satisfecit de plus aux créanciers. Lesquels ne cessaient de lui demander tant de se séparer de cette encombrante aile gauche que de changer de partenaire dans sa coalition. Ce qui lui donnerait une position de force pour la discussion de la réduction de la dette. Mais deux bémols dans ce raisonnement. D’une part, même s’il est favori dans tous les sondages, rien n’est joué pour l’obtention de cette majorité absolue. Autant dire qu’il ne peut se permettre de se fâcher avec son actuel partenaire au sein de la coalition, le sulfureux Panos Kamenos à la tête d’Anel, le parti des Grecs indépendants. Un parti de droite souverainiste, certes, mais nettement plus docile que les autres. Anel a voté sans broncher tout ce qui lui était demandé et, quitte à rester au gouvernement, il continuera. D’autre part, Panayiotis Lafazanis a fait le grand pas, il a formé son parti, le parti de l’Union populaire, en référence au parti de Salvador Allende, toute une symbolique… Le programme de ce nouveau parti est radical. Il se veut un pôle « anti-mémorandum, anti-austérité », et se prononce en faveur de la nationalisation des quatre banques systémiques, de l’arrêt de toutes les privatisations et des remboursements de la dette. Une dette qui doit dans sa plus grande partie être annulée sur la base de l’audit entamé par la présidente du Parlement. L’Union populaire veut également, entre autres, la dissolution des forces anti-émeutes, le retour des conventions collectives, la fin de l’austérité et une redistribution des richesses assortie d’une refonte totale du système fiscal.
Pour Panayotis Lafazanis, « sortir de l’eurozone n’est pas tabou », et un retour à la drachme « n’est pas aussi dramatique que l’on croit », a-t-il martelé lors de sa première conférence de presse tenue dans les locaux… du Parlement. Et Kostas Lapavitsas, professeur d’économie qui avait prévu l’issue fatale des négociations entre Syriza et les créanciers dans un livre paru en 2013, d’enfoncer le clou : « Ce n’est pas nous qui sommes obsédés par la drachme, c’est d’autres dans le pays qui sont obsédés par le maintien de la Grèce dans l’eurozone, un maintien qui ne lui apporte rien de bon et dont il faut se sevrer. » Il a participé à la rédaction du programme de l’Union populaire, qui veut réunir tous les déçus de Syriza. Actuellement, 25 députés sécessionnistes l’ont déjà rejoint. Les grandes pointures, comme la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, ne se sont pas encore prononcées, mais cela ne devrait pas tarder. De son côté, l’ancien ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a annoncé qu’il ne serait « pas candidat au nom de Syriza ». « Syriza est en train d’adopter la doctrine irrationnelle à laquelle je me suis opposé depuis cinq ans : étendre encore la crise et prétendre qu’elle est résolue, tout en maintenant une dette impayable », a-t-il indiqué. « J’ai été remercié parce que je m’y opposais. » Pour autant, il ne s’est pas prononcé sur le fait de rejoindre le camp de Lafazanis. C’est peu probable, la position de Varoufakis a toujours été de dire que la Grèce n’aurait pas dû entrer dans l’eurozone, mais, maintenant qu’elle y est, la quitter serait une catastrophe. Il a toujours défendu une solution radicale, certes, mais au sein de l’eurozone.
Désormais, les deux votes pour le 3e mémorandum d’austérité ont fait perdre à Alexis Tsipras sa majorité. Il n’avait plus que 119 voix sur 300 et ne tenait que grâce aux votes de l’opposition. Techniquement, ça ne pouvait plus continuer. D’où ce « va-tout politique », qu’il a tenté d’expliquer en quinze minutes d’allocution télévisée : « Nous avons résisté tant qu’on a pu, nous n’avons pas pu avoir l’accord que nous voulions et que nous avions promis lors de notre campagne électorale, mais maintenant nous avons obtenu un accord difficile, que nous sommes obligés d’appliquer, nous allons le faire, mais nous allons alléger les conséquences les plus dures pour la population la plus faible, nous allons regagner notre souveraineté et nous n’allons pas accepter pour cet accord la seule interprétation des créanciers. » Un discours qui a touché beaucoup de Grecs. Tous les ingrédients qui ont fait la victoire et le succès d’Alexis Tsipras, résistance, souveraineté, social, fierté et espoir, sont contenus dans cette allocution. Il a voulu convaincre les Grecs, plus particulièrement les jeunes, qu’il n’a pas abandonné la lutte pour une Europe plus humaine, plus sociale, celle pour laquelle il a lutté sans succès contre les créanciers pendant six mois. Du grand Tsipras, qui confirme ses talents de politicien, du classique, du sûr, diront ses partisans. Mais ce n’est pas parce que cela a marché une fois, le 25 janvier dernier, que cela va fonctionner huit mois plus tard. Les électeurs de gauche sont divisés. « Le 25 janvier, il nous demande de voter pour lui pour stopper l’austérité, et neuf mois plus tard il nous demande de voter pour lui pour appliquer l’austérité, s’exclame Takis, cuisinier au chômage. Il nous prend pour des cons ! »
Dora Oikonomides, blogueuse, est dubitative : « Je ne sais pas si je ne vais pas voter pour la première fois de ma vie pour le parti communiste. C’est une tactique, car voter pour un autre parti de la gauche extraparlementaire revient à un coup d’épée dans l’eau, mais voter communiste a tout son sens, ils seront l’opposition. » Dora et Takis envisagent aussi d’aller à la pêche le jour des élections, « la déception est trop forte », disent-ils. « J’ai voté Syriza car je voulais que les institutions refonctionnent, lâche Dora, mais les deux précédents votes en procédure d’urgence, sans débat au Parlement, ont prouvé qu’avec Syriza aussi les institutions sont menacées. » Dionissi et Irene, deux fonctionnaires, vont voter, eux, pour Antarsya, un parti de la gauche extraparlementaire à qui l’Union populaire fait d’ailleurs du pied : « On a voté Syriza pour virer Samaras, mais plus jamais ! » Bizarrement, les gens plus âgés se sont pris d’affection pour Tsipras : « Il a fait ce qu’il a pu, le petit. Il s’est battu pour nous, on ne peut pas le nier. Il faut le soutenir. » C’est un discours que l’on entend souvent dans les marchés, au café, à la banque. De fait, Tsipras est encore très populaire, malgré ses échecs, qu’il reconnaît au demeurant, justement parce qu’il s’est battu. Et comme il n’a pas encore de casseroles aux fesses, il bénéficie toujours d’un bon capital de confiance. Mais il y a une inconnue, c’est Aube dorée, qui risque de faire le plein de voix.