Publicité : « Les messages perçus inconsciemment sont les plus influents »

Stress, obésité, surconsommation… Les sciences cognitives identifient les risques de la surabondance de messages publicitaires.

Erwan Manac'h  • 26 août 2015 abonné·es
Publicité : « Les messages perçus inconsciemment sont les plus influents »
Mehdi Khamassi est chercheur en neurosciences à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (CNRS).
© JUSTIN TALLIS / AFP

Par son étude des mécanismes du cerveau dans les déplacements en milieu urbain et le phénomène de conditionnement, Mehdi Khamassi a acquis une connaissance approfondie de la façon dont la publicité agit sur notre esprit. Il alerte sur les risques de surcharge cognitive due à la profusion de messages publicitaires dans nos villes et défend une « liberté de non-réception » pour le citoyen-consommateur.

Existe-t-il des études scientifiques sur les conséquences neurologiques des écrans publicitaires dans l’espace public ?

Mehdi Khamassi : Il n’existe pas d’étude propre aux écrans, mais nous savons que lorsque quelque chose bouge en périphérie du regard, cela a de très fortes chances d’attirer l’attention, en suscitant un mouvement de la tête ou une saccade oculaire. C’est un mécanisme hérité de l’évolution naturelle. Le danger pouvant surgir sur le côté, l’orientation du regard a permis aux individus de survivre mieux. Nous estimons que ce type de sollicitation s’accompagne d’une légère augmentation du niveau de stress, de sorte à pouvoir réagir rapidement en cas de danger. Dans un couloir du métro, une personne peut réussir à inhiber ce comportement si elle s’efforce de ne pas regarder les panneaux, mais cela demande en soi une ressource cognitive.

Vous identifiez en conséquence un risque de « surcharge cognitive »…


Avec les mails, les appels, les alertes « push », etc., notre attention est de plus en plus sollicitée, ce qui entraîne des difficultés à se concentrer et à rester focalisé sur quelque chose. Cela devient problématique chez l’enfant, qui doit développer sa capacité de concentration, mais ça l’est également chez l’adulte.


La quantité d’informations provoque aussi du stress et, sans que la relation soit encore formellement établie, elle contribue à expliquer le nombre important de burn-out [épuisement professionnel, NDLR] et la consommation record de calmants.

La publicité exerce également un impact, bien mieux étudié, sur l’obésité. On a beau croire en notre libre arbitre, les incitations à consommer de la nourriture augmentent notre consommation. Une étude européenne estime qu’on pourrait réduire de 30 % l’obésité infantile aux États-Unis en réduisant la publicité pour les produits ultra-caloriques destinés aux plus jeunes.
La publicité consolide une image de marque qui va donner l’impression à la personne que le produit est meilleur. Des études ont montré par exemple que, pour deux échantillons de frites identiques, les enfants déclarent préférer celui qui porte le logo de McDonald’s. L’image de marque active considérablement une partie du système de récompense, appelé le ventro­médian, qui associe des actions avec des plaisirs attendus. Des études ont également montré que, chez des patients souffrant d’obésité, les publicités pour des produits ultra-caloriques activaient significativement le système de récompense, à des niveaux supérieurs à la moyenne. Cela suggère qu’il y a un dérèglement du système de récompense expliquant que ces personnes ont du mal à s’empêcher de consommer le produit.

La quantité d’informations à laquelle nous sommes exposés détermine ce phénomène de conditionnement. Car le système de ­récompense fonctionne par renforcement progressif, exactement comme le conditionnement pavlovien. Par la répétition, nous ancrons des représentations qui sont ensuite très difficiles à retirer. Un sujet exposé en moyenne 15 fois à un stimulus commence à en avoir une impression positive, car il lui apparaît familier. Nous avons besoin d’être entourés de choses familières, c’est ce qui fait qu’on se sent bien et en sécurité.

Plus une personne est exposée à un produit, plus elle en a une impression positive, plus elle a de chances de le consommer. Dans la société actuelle, le degré d’exposition est tel qu’il soulève beaucoup d’enjeux de santé publique qui ne sont pas suffisamment étudiés. Nous fonçons vers des niveaux préoccupants de surconsommation, d’addiction, de surcharge cognitive, etc. Tant que nous restons à cette quantité de publicité, nous allons dans le mur.

Vous défendez donc un droit de se soustraire à un message publicitaire ?

La notion de « liberté de non-réception » est de plus en plus discutée. Cela me paraît important pour préserver son cerveau lorsqu’on se déplace dans l’espace public. L’État devrait nous garantir une neutralité commerciale.

Les publicités « intelligentes » et interactives devraient désormais faire leur apparition dans l’espace public, comment jugez-vous cette évolution ?

Un processus actif dans lequel le consommateur déciderait des messages auxquels il souhaite être confronté serait positif. Car nous ne sommes pas libres face à la publicité. Notre cerveau est exposé à beaucoup d’informations qu’il traite même si nous n’en avons pas conscience. Beaucoup de publicitaires savent d’ailleurs que c’est lorsque le message est perçu inconsciemment que l’influence peut être la plus forte. Lorsqu’on prend conscience qu’on est en train d’être influencé, au contraire, notre système attentionnel reprend le dessus et inhibe notre comportement de plus bas niveau. C’est pour cela que nous sommes plus influençables lorsque nous sommes fatigués, comme l’a notamment démontré en 2010 le Journal of Marketing Research.


En interagissant avec une publicité, la personne pourrait prendre conscience – et décider – d’analyser son message. Malheureusement, cela ne semble pas être le modèle privilégié par les publicitaires.

Les logiciels de mesure automatique d’audience [qui analysent en temps réel les comportements, NDLR] posent par ailleurs un problème éthique. N’importe quel chercheur en psychologie ou en neurosciences qui souhaite étudier le comportement ou le cerveau humain doit passer par un comité d’éthique pour faire valider un protocole très précis, répondant à des objectifs scientifiques transparents. Et chaque sujet doit signer un formulaire de consentement. C’est le minimum d’éthique à respecter dans le milieu scientifique. Le marketing ne respecte aucun de ces principes.

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Tsipras pris au piège
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