Quotidien d’une jeunesse musulmane délaissée
Dans son dernier roman, Anees Salim peint un portrait au vitriol du quotidien de jeunes laissés pour compte dans un quartier musulman d’une grande ville indienne.
Vanity Bagh , c’est une histoire à la fois émouvante, humoristique et dramatique. Celle du petit quartier musulman de la ville indienne de Mangobagh, un quartier rempli d’étals de fruits, d’odeurs, et de pauvreté aussi. Un endroit auquel Imran Jabbari, le narrateur, se rattache coûte que coûte pour surmonter sa vie en prison.
Le jeune homme de 24 ans nous faire découvrir une double réalité. Son quotidien depuis dix-huit mois dans une petite prison délabrée, parsemée de souvenirs de sa vie d’avant. Car Imran est un garçon avec beaucoup d’imagination. Chargé d’un travail de reliure de livres au sein de la prison, il croit discerner sur les pages blanches les lignes de son histoire. Sans doute une échappatoire à son existence dans cet univers carcéral morne et triste.
Mais comment notre héros, qui semble sans histoires, s’est il retrouvé en cabane ? Ce sont ses flashbacks qui nous l’apprennent petit à petit. Dans les songes d’Imran, on retrouve autour de lui cinq garçons aux noms de politiciens pakistanais, Yahya, Zia, Navaz Sharif, Jinnah et Zulfikar. Des hommes à peine sortis de l’adolescence, qui partagent une indéfectible amitié.
Mais, bercés depuis l’enfance par les récits du héros du quartier, le grand caïd Abu Hathim Sahib, ils rêvent de grands espaces et d’aventures. De devenir enfin quelqu’un, même s’ils ne savent pas trop ce que cela veut dire. Un peu par ennui aussi, ils décident de devenir un gang, les « 5 ½ ». 5 ½, pas 6, parce que l’un d’entre eux, Yahya, est muet. Avec ses mimiques et ses gestes, Yahya tient pourtant une place importante dans le récit d’Imran. C’est d’ailleurs avec lui qu’il partagera la virée en moto fatale, qui poussera l’un au suicide et mènera l’autre tout droit en prison.
Ces gentils – et en tout cas inoffensifs – voyous peinent dès leurs débuts à se construire une légende. Leurs plus gros coups ne se réalisent que dans leurs rêves et leurs soirées passées à refaire le monde, au pied de la mosquée du quartier. Jusqu’au jour où un certain Qadir, à la fois fleuriste et mafieux, leur propose un marché : déposer quatre scooters aux coffres remplis de lingots d’or à des adresses situées du côté hindou de la ville. Un job facile, rapide, qui berne ces jeunes en quête d’aventure. Naïfs, ils ne vérifient même pas les contenus des coffres avant de réaliser leur mission.
En réalité, point d’or dans ces chevaux de Troie en métal, mais des explosifs qui provoquent un attentat meurtrier. Tout se déroule un 11/11/11, un chiffre qui suit Imran tout au long de son récit, et d’ailleurs le numéro de son matricule, 111. Une date de malheur, durant laquelle certains de ses amis sont tués et d’autres envoyés en prison pour terrorisme. Ces délinquants de pacotille ont été pris dans un engrenage qui les dépasse, sous le prisme de violents affrontements entre les communautés religieuses. Cette histoire, c’est aussi celle du gâchis de jeunes sans avenir devenus criminels à leurs dépens, comme pour rappeler à la société le rôle de protectrice qu’elle n’a pas joué. Un récit noir, mais savoureux, qui a remporté à juste titre le Hindu Prize for best Fiction en 2013.
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