« Brooklyn », de Pascal Tessaud : Ma cité va rapper
Avec Brooklyn, Pascal Tessaud raconte le quotidien de jeunes à Saint-Denis, loin des stéréotypes faciles à la Dheepan.
dans l’hebdo N° 1370 Acheter ce numéro
Brooklyn n’est en l’occurrence pas le célèbre quartier de New York, mais le surnom d’une jeune rappeuse, venue de Suisse, aux origines diverses. Coralie (KT Gorique), alias Brooklyn, arrive à Saint-Denis, loue une chambre chez une vieille dame (Liliane Rovère), fait le ménage et la cuisine pour un centre social et culturel. Les conditions de vie minimales pour pouvoir s’adonner à sa passion, le rap. Sans marquer d’intention volontariste en ce sens, Brooklyn, premier long métrage de Pascal Tessaud, s’écarte d’emblée des stéréotypes sur la banlieue – on est loin de Dheepan et de son climat de guerre civile, Saint-Denis n’étant pourtant pas le lieu le plus favorisé de la Terre… Brooklyn ne tombe pas dans un quartier où règne la loi de la jungle ; accueillie avec bienveillance, elle est même conviée, ayant montré ses dispositions en la matière, à participer aux séances de rap enregistrées dans le petit studio du centre social.
Formidablement servi par le film, le rap est montré sans démagogie ni mépris. Il est vu avant tout comme un art et un moyen d’expression à la fois direct et élaboré, qu’il faut travailler – Brooklyn peaufine ses textes dans un gros cahier, doit s’acclimater au micro, etc. Le responsable du lieu encourage chacun à trouver son style, qui passe par un flow de constat ou de révolte. Mais le rap peut aussi faire entendre un véhément dépit amoureux, comme le fait Brooklyn, trahie par le garçon qu’elle « kiffait », Issa (Ra-fal Uchiwa), dans une séquence à l’émotion tendue.
Il n’est évidemment pas anodin que le personnage principal soit une jeune rappeuse, qui évolue dans un environnement majoritairement masculin et, a priori, macho. Mais, là encore, Pascal Tessaud, dont la caméra a su capter la force de ce petit brin de fille qu’est KT Gorique, a déjoué les images attendues, d’autant mieux qu’il connaît bien le milieu et la ville qu’il filme. Il est allé chercher chez ses comédiens, pour la plupart non professionnels, une énergie et une vérité qui s’imposent à l’écran. Avec Brooklyn, réalisé dans une économie « pirate », financé en partie par le crowdfunding, le cinéaste n’a pas attendu des subventions hypothétiques mais a pris son projet en main. Résultat : un film singulier, généreux et enthousiasmant, certainement pas angélique pour autant. Un film que Pascal Tessaud place sous les auspices de Pasolini – comme un Guédiguian a pu le faire avant lui – en rappelant le message du poète italien : il faut sacraliser le profane. Mission accomplie.