Élargir le club des Cinq

Si la légitimité politique de l’ONU s’est renforcée depuis sa création, sa lourdeur bureaucratique et son fonctionnement sont inadaptés aux réalités et aux défis actuels.

Michel Soudais  • 23 septembre 2015 abonné·es
Élargir le club des Cinq

Le slogan retenu pour le 70e anniversaire de l’Organisation des Nations unies, « une ONU forte pour un monde meilleur », tient à la fois de la promesse et de la supplique. Promesse d’une organisation qui, de par sa charte fondatrice, poursuit de nobles objectifs : maintenir la paix et la sécurité dans le monde ; développer les relations amicales entre les nations ; réaliser la coopération internationale sur tous les sujets en encourageant le respect des droits de l’homme ; être un centre où s’harmonisent les efforts des nations dans des objectifs communs. Mais aussi supplique d’une organisation dont les moyens, notamment financiers, s’avèrent insuffisants au regard de ses missions et de ses ambitions. Certes, depuis sa création en octobre 1945, l’Organisation des Nations unies a connu bien des changements, lesquels ont renforcé sa légitimité politique en qualité d’instance de dialogue. Le nombre de ses États membres a quasiment quadruplé. À l’origine, 51 pays étaient signataires de la Charte des Nations unies (les fondateurs devaient avoir déclaré la guerre à l’Allemagne au moins trois mois avant sa capitulation). Aujourd’hui, la quasi-totalité des États du monde – 193 sur les 197 que reconnaît l’organisation – ont leur siège à l’ONU. L’organisation des Nations unies est également de plus en plus fréquemment engagée dans des opérations armées de maintien de la paix – seize actuellement –, parfois depuis longtemps, comme à Chypre (1974) ou au Sahara occidental (1991). Et, si ces opérations sont loin d’être toujours couronnées de succès, l’ONU peut se targuer d’avoir sauvé des millions de vies. Comme elle a contribué, grâce à ses agences (OMS, Unesco, Unicef…), à améliorer la santé et l’éducation à travers le monde. Depuis les années 1970, l’ONU se préoccupe également de l’environnement, elle est à l’initiative de la convocation des conférences sur le climat.

En dépit ou à cause de ces évolutions, l’ONU est critiquée pour sa bureaucratie excessive, ou à tout le moins inadaptée aux défis qu’elle doit relever. Sa gouvernance, qui accorde un rôle prédominant aux membres permanents du Conseil de sécurité, apparaît obsolète. Imperméable aux évolutions du monde, la composition de cette instance décisionnaire, qui peut seule décider de sanctions contre un État, de lancer des opérations de maintien de la paix ou des interventions militaires, est presque inchangée. Le Conseil de sécurité compte 17 membres (six avant 1963), élus tous les deux ans lors de l’Assemblée générale, les cinq membres permanents ayant droit de veto : États-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine [^2]. Ceux-ci représentaient 66 % de la population mondiale et 59 % du PIB mondial en 1945, contre 26 % et 44 % l’an dernier. Ils ont longtemps été aussi les seuls en possession de la bombe atomique, détenue maintenant par au moins quatre autres pays (Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord).

Pour pallier ce défaut de représentativité, il est question, depuis une vingtaine d’années, de réformer le Conseil de sécurité afin qu’il reflète les nouveaux équilibres régionaux et représente l’ensemble des grandes religions. Un élargissement du collège des membres permanents à de grands pays émergents (Inde, Brésil, Afrique du Sud), aux puissances vaincues de la Seconde Guerre mondiale (Allemagne, Japon) ou à un pays arabe (Égypte) est envisagé. De telles cooptations amélioreraient certes la représentativité du Conseil, mais elles ne seraient d’aucun effet sur la paralysie de ce dernier si, parallèlement, il n’était pas mis fin au privilège des membres permanents. Ceux-ci peuvent bloquer toute résolution qui ne leur convient pas sans avoir à motiver leur décision. Durant la guerre froide, l’URSS et les États-Unis ont abusé de ce droit de veto, utilisé 242 fois en quarante-cinq ans. Si les « Cinq » y ont moins souvent recours, son usage est encore trop fréquent. Confronté à l’absence de décision de l’ONU sur la Syrie du fait du veto russe, Salil Shetty, le secrétaire général d’Amnesty International, déclarait en 2012 : « Il doit y avoir un moyen qui, lorsqu’il s’agit d’abus de droits de l’homme […], rend l’utilisation du droit de veto tout simplement inacceptable. » En écho à cette réflexion, Laurent Fabius proposait dans une tribune à Libération (10 juin 2015) que « les cinq membres du Conseil de sécurité suspendent volontairement leur droit de veto en cas de crimes de masse » .

Si, suivant la formule de notre ministre des Affaires étrangères, « une ONU renforcée ne peut être qu’une ONU réformée », toute réforme en profondeur se heurte à la procédure de révision très contraignante prévue à l’article 109 de la Charte. Il faut un vote à la majorité des deux tiers de l’Assemblée générale pour réunir une Conférence générale des membres. Et les recommandations de celle-ci ne peuvent entrer en vigueur que lorsque deux tiers des États membres les ont ratifiées, conformément à leur droit interne. L’ONU risque donc de conserver encore longtemps ses défauts. Ce qui ne l’empêche pas d’apparaître comme la seule enceinte mondiale capable de concilier des enjeux de sécurité et des défis systémiques. Le « machin » que raillait De Gaulle en tire une légitimité qui reste la moins contestée de toutes les organisations internationales.

[^2]: La République populaire de Chine a remplacé la République de Chine (Taïwan) en 1971 à la suite d’un vote de l’Assemblée générale.

Monde
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À quoi sert l'ONU ?
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