Espagne : Le dilemme catalan de Podemos
La question indépendantiste embarrasse Pablo Iglesias à la veille des élections régionales. Correspondance à Barcelone, Laura Guien.
dans l’hebdo N° 1370 Acheter ce numéro
La formule choc n’avait jusqu’à présent jamais failli dans la communication de Pablo Iglesias. Il aura fallu qu’il la confronte au dilemme catalan pour connaître son premier accroc d’envergure. En meeting en Catalogne pour soutenir la liste Podemos aux élections régionales du 27 septembre, Pablo Iglesias a déclaré : « Ceux qui n’ont pas honte d’avoir des parents ou des grands-parents andalous ou estrémaduriens doivent sortir les dents. » Une formule destinée à encourager les non-séparatistes à faire entendre leur voix lors des élections catalanes mais qui, en associant l’unionisme à l’origine ethnique, a provoqué des réactions indignées à droite comme à gauche en Catalogne.
Ce dérapage de communication est symptomatique des difficultés de Podemos à appréhender le « problème catalan ». Le parti d’Iglesias a jusqu’à présent maintenu une ligne ambivalente face à l’indépendantisme, prônant « le droit à décider » sans exprimer explicitement son soutien à la cause séparatiste. Et pour cause : selon une enquête du Centre d’investigation sociologique (CIS) datée d’avril dernier, 22 % des électeurs de Podemos sont catalans. Le poids de la Catalogne se révèle ainsi décisif au moment de définir la stratégie du parti vis-à-vis de l’indépendantisme. À quelques mois des élections générales, dans un contexte fortement influencé par ces élections régionales catalanes que le président sortant, Artur Mas, a transformées en plébiscite pour l’indépendance, la question du débat territorial est devenue un casse-tête pour Podemos. Le parti, dont les intentions de vote se sont stabilisées à leur plus bas niveau depuis son apparition sur la scène politique (15,7 %), a pourtant bien besoin des électeurs « hésitants ». Car, si la majorité des électeurs catalans de Podemos « à fidéliser » se prononcent en faveur d’une plus grande indépendance de la région, la tendance s’inverse dans le reste de l’Espagne.
Podemos est donc obligé de montrer un visage aimable à l’indépendantisme en Catalogne, tout en affichant la posture inverse dans le reste du pays. Une situation embarrassante, exacerbée par la compétition partisane des élections générales, dans laquelle le Parti populaire (droite, au pouvoir) et Ciudadanos (centriste) n’ont aucun scrupule à se positionner contre l’indépendance. Pour Podemos, le problème ne date pas tout à fait d’aujourd’hui. L’arrivée sur l’échiquier politique de Ciudadanos, nouveau parti né en Catalogne, avait déjà souligné le besoin pour le clan d’Iglesias de réinventer son discours. Pour Sebastián Lavezzolo, chercheur en sciences politiques et auteur d’un ouvrage collectif sur les dynamiques électorales espagnoles : « L’apparition d’un compétiteur comme Ciudadanos, [que les membres de Podemos] ne peuvent pas accuser d’être un vieux parti issu de la “caste”, les a obligés à recentrer le débat sur une opposition gauche/droite. De plus, comme Ciudadanos est farouchement opposé à l’indépendance, cela pousse Podemos à se définir un peu mieux. Si, aujourd’hui, sa position face à l’indépendantisme est perçue comme ambiguë, avant Ciudadanos, elle l’était encore davantage. » Une légère évolution qui s’appuie sur le « droit à décider » pour les Catalans, et qui s’est manifestée par l’éviction d’une liste régionale trop clairement en faveur de l’unité espagnole, « Podemos Unidos », écartée de la compétition régionale en début d’année par la direction du parti.
Ces discrets appels du pied envers la frange séparatiste suffiront-ils ? Le succès de Podemos passe en partie par le captage des voix d’ERC, la gauche indépendantiste catalane, pour les élections générales. Une hypothèse assez hasardeuse, selon Cyril Trépier, chercheur à l’Institut français de géopolitique de Paris 8 et spécialiste de l’indépendantisme catalan : « ERC a obtenu de très bons résultats aux dernières élections. Il a gagné les européennes de 2014 en Catalogne, il est arrivé en troisième position aux municipales de mai 2015. Le parti n’est absolument pas en déclin. » Quelle serait alors la meilleure option pour Podemos, afin de ne pas payer trop cher électoralement le casse-tête catalan ? Tenter d’orienter l’opinion publique vers une entente entre la Catalogne et l’Espagne constituerait une sortie de crise élégante. À quelques jours des régionales, cette posture est néanmoins intenable dans un contexte social et électoral polarisé autour des questions identitaires. Plutôt que de s’affirmer dans cette voie intermédiaire, il y a fort à parier que le parti d’Iglesias choisisse de faire glisser le débat indépendantiste vers les thèmes économiques et sociaux. Un domaine qui, sur le plan de la rhétorique, est mieux maîtrisé par ses leaders.