Grèce : « Deuxième chance » pour Tsipras
À Athènes, les réactions contradictoires au soir de la victoire de Syriza traduisaient la complexité de la situation. Correspondance, Angélique Kourounis.
dans l’hebdo N° 1370 Acheter ce numéro
On ne change pas une équipe qui gagne. Après une campagne sans saveur, et une victoire sans éclat, c’est une coalition sans surprise, entre Alexis Tsipras et Panos Kamenos, qui attend les Grecs. Les deux hommes ont ceci en commun : cette victoire est leur victoire personnelle. Alexis Tsipras, comme Panos Kamenos, tous deux farouchement opposés à la politique d’austérité, avaient les médias et les instituts de sondage contre eux. Des instituts qui annonçaient, d’une part, « une bataille au coude-à-coude » entre les conservateurs et Syriza, et, d’autre part, l’exclusion du Parlement du parti souverainiste des Grecs indépendants (Anel) de Kamenos.
En fait, Anel a obtenu 10 sièges, et Syriza devance de 7,5 points les conservateurs. Ensemble, ils vont gouverner avec 155 sièges sur 300. À noter que ces mêmes instituts donnaient le 5 juillet le « oui » et le « non » à égalité au référendum. Au final, l’écart a été de 22,5 points. Reste qu’Alexis Tsipras remporte sa troisième victoire électorale en moins de huit mois, et la victoire de dimanche soir est double. Victoire très nette sur sa droite, avec plus de 35 % des voix contre moins de 29 % pour les conservateurs, lesquels essuient leur troisième déroute. Mais, surtout, victoire écrasante sur sa gauche, sur l’Union populaire de Panayiotis Lafazanis, sécessionniste de Syriza, qui n’obtient aucun siège. Le soir des élections, une délégation du Front de gauche présente devant le kiosque de Syriza, place Klathmonos, ne savait pas vraiment si elle devait saluer la victoire de ce dernier ou consoler les perdants de l’Union populaire. « Sentimentalement, on est proches de Lafazanis, mais tactiquement on soutient Tsipras, confiait une femme qui avait du mal à faire vraiment la fête. Un échec de Tsipras aurait eu de trop grandes répercussions sur l’ensemble de la gauche européenne. Maintenant, on peut à nouveau espérer. » De fait, la victoire de Tsipras, essentielle pour la gauche, peut agir comme un appel d’air pour son homologue espagnol de Podemos, Pablo Iglesias, pour les élections de décembre prochain. Les Grecs ont donc donné une seconde chance à « l’enfant qui sourit », comme on désigne souvent Tsipras en référence à une chanson populaire. « De vraies réformes doivent être faites, je veux le voir gouverner pour voir ce qu’il a dans le ventre », affirmait Athnassia, fonctionnaire de 40 ans, qui a voté Tsipras « des deux mains ». Les plus âgés étaient prêts à « pardonner les erreurs », alors que les plus jeunes ont massivement refusé de voter « pour celui qui les a trahis ». Du coup, l’abstention a battu tous les records : 45,5 %. Stella, la cinquantaine, femme au foyer et mère de trois enfants, n’a pas voté : « À quoi bon ? Tout est décidé d’avance ! » Mais elle n’est pas fâchée que Tsipras se maintienne et qu’il ait « une coalition qui tienne ». Comme la majorité des Grecs, elle ne veut plus entendre parler « d’élections pour au moins deux ans ! » .
Pour le politologue Ilias Nikolakopoulos, « les Grecs ont rejeté la politique extrême de Lafazanis, mais ils ont voté pour une application plus juste de l’austérité et ils estiment que seul Tsipras peut assurer cette justice ». L’économiste Thanos Contargyris avoue avoir voté Syriza du « bout des doigts », avec en tête l’échec du troisième mémorandum d’austérité qu’il estime inévitable. « Au moment des futures négociations, qui ne seront rien d’autre que de nouvelles mesures d’austérité, mieux vaut que ce soit un Tsipras qui négocie, estime-t-il, plutôt qu’un Méimarakis [leader de la droite], acquis aux thèses libérales. » Mais ce qui le fait rire, c’est de penser « à la tête des créanciers, ils doivent se taper la tête contre le mur : on a forcé Tsipras à lâcher ses compagnons de route, à adopter un plan d’austérité, à revenir sur toutes ses promesses, et malgré cela il a encore gagné ! Ils doivent enrager, et je dois avouer que cela fait plaisir ». Spiros, 60 ans, ancien militaire à la retraite reconverti en taxi, lui, rit jaune : « Leventis [leader de l’Union des centristes] est entré au Parlement avec dix députés ! Le bouffon Leventis ! Des Grecs ont donné leur voix à celui qui les traitait publiquement de crétins, il y a trente ans, dans ses émissions télé à deux sous. » Pour Georges Sefertzis, politologue, « le vote Leventis est un vote conscient qui vise à ridiculiser la vie politique grecque. C’est comme voter Aube dorée. Une manifestation de colère, la violence en moins ». Aube dorée, parti néonazi, reste la troisième force du pays, passant de 17 à 18 députés.