La droite à l’assaut des quartiers

Renforcé par des victoires locales, le think tank « France fière », lié aux Républicains, veut mobiliser les quartiers avec un discours libéral-conservateur. Une stratégie qui montre déjà ses limites.

Erwan Manac'h  • 23 septembre 2015 abonné·es
La droite à l’assaut des quartiers
© Photo : DEMARTHON/AFP

Un escadron de « patriotes » en costume propret, musulmans et « issus des quartiers populaires » : voilà l’atout qu’une partie des Républicains (LR) pourrait sortir pour ses prochaines batailles électorales. Quelques victoires symboliques ont prouvé qu’elle pouvait l’emporter dans l’électorat populaire et faire recette parmi les musulmans, malgré la ligne islamophobe de Nicolas Sarkozy. À un an de la primaire LR, les francs-tireurs se mettent en ordre de bataille dans l’ombre d’Alain Juppé. Samedi 26 septembre, une poignée d’élus locaux « issus de la diversité » doivent tenir une « fête de la fierté française », célébrant un « patriotisme moderne ». Ils lançaient en juin un groupe de réflexion nommé « France fière », aux allures de club d’opportunistes.

À sa tête, Hayette Hamidi, trentenaire engagée en politique pour la première fois comme porte-voix de la Manif pour tous, au printemps 2013. C’est là qu’elle réalise qu’une occasion s’ouvre à elle dans le camp conservateur. «  [Les catholiques] nous accueillaient les larmes aux yeux en nous disant : “Merci d’être là, on a besoin de vous”  », raconte l’avocate d’affaires, qui a passé son enfance à l’école privée catholique [^2]. Dans le même temps, les réunions qu’elle organise pour Sens commun, satellite de LR dédié à la Manif pour tous, font le plein dans les quartiers populaires. Cette petite-fille d’Algériens se présente l’année suivante aux municipales au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), au sein d’un « collectif citoyen » qui conclut un accord électoral avec la droite. Pour draguer l’électorat musulman, ses membres promettent la construction d’une nouvelle mosquée et diffusent des tracts devant les salles de prière, dénonçant l’enseignement d’une prétendue « théorie du genre » qui contesterait les différences entre les sexes. « Hayette Hamidi était là pour appâter des électeurs que Thierry Meignen [le maire LR du Blanc-Mesnil, NDLR] ne pouvait pas atteindre », explique Karima Khatim, ancienne militante du Collectif citoyens Blanc-Mesnil, qu’elle a quitté pour former une liste autonome aux départementales. La droite surfe surtout sur le rejet, déjà ancien, du communisme municipal. Dans ce quartier populaire, on se souvient avoir cédé à un discours d’apparence nouvelle, porté par « des gens qui nous ressemblent ». « Mon fils a voté pour eux, car ils sont venus lui parler de la mosquée », se rappelle un commerçant, derrière le bar de son snack. Kamel [^3], 35 ans, a lui aussi voté à droite, pour sanctionner la « politique de Hollande pour les pédés ». Avec le mariage pour tous, « tout a basculé », témoigne Zouina Meddour, qui a toujours milité dans la cité des Tilleuls et officiait en tant que chargée de lutte contre les discriminations sous la municipalité communiste. « Certains se sont décomplexés par rapport à la droite, car ils ne voient plus la différence avec la gauche », observe aussi Nabil Koskossi, qui milite depuis toujours dans le « grand ensemble » de Sarcelles (Val-d’Oise). « C’est facile de séduire en tapant sur la gauche. C’est une vieille méthode déjà appliquée par Alain Soral pour nous amener doucement vers l’idéologie de l’extrême droite », avertit Almamy Kanouté, militant politique autonome à Fresnes (Val-de-Marne), qui se présente sur des listes « Émergence » aux régionales.

Résultat, une poussée de la participation permet de faire basculer le Blanc-Mesnil à droite pour 209 voix. La droite progresse dans plusieurs villes grâce à des ingrédients similaires. Aulnay-sous-Bois et Argenteuil basculent en 2014, et l’UDI remporte Bobigny au terme d’une campagne très agressive avec, là encore, une fusion avec un « collectif citoyen » dans les quartiers. Après la victoire de LR à Noisy-le-Grand, dimanche 20 septembre, suite à l’annulation de l’élection municipale de 2014, la droite gouverne désormais dans 21 villes de Seine-Saint-Denis sur 40. Le think tank « France fière » regroupe aujourd’hui des élus locaux issus de cette poussée électorale, « pour dire qu’il n’y a aucune contradiction entre votre spiritualité et l’amour de la France », comme l’a fait avant eux l’association Fils de France, du militant d’extrême droite Camel Bechikh. Un discours qui laisse un goût amer aux militants de terrain : « C’est une manipulation à la limite de la caricature. Nous n’avons pas besoin de mettre en avant que nous sommes fiers d’être Français. Oui, nous sommes intégrés », s’agace Karima Khatim. Ces militants aux accents de droite dure sont rejoints par des personnalités engagées jusqu’alors à l’UDI ou sur des listes autonomes, sur une ligne libérale vantant le dynamisme et la soif de réussite dans les quartiers populaires.

Mais, passé le temps des agitations électorales, la déception est déjà palpable sur le terrain. Aux Tilleuls, la mairie a interdit les prières sur le trottoir qui jouxte la mosquée, trop petite pour accueillir les croyants pour la prière du vendredi. Et le projet de nouvelle mosquée a été stoppé. Thierry Meignen gouverne pour les retraités. Il soigne son centre-ville, en poursuivant aux Tilleuls un projet de rénovation urbaine avec l’objectif affiché de diminuer le nombre de foyers pauvres dans le quartier. « Il fait du nettoyage. Bientôt ce quartier sera réservé aux Parisiens », s’énerve Kamel, qui regrette aujourd’hui son vote. La nouvelle municipalité livre aussi selon plusieurs témoignages une « véritable chasse aux sorcières ». « Nous avons fait le décompte, 72 cadres de la Ville ont été mis dehors. Il y a une logique de terreur. Tout le monde a peur », raconte Zouina Meddour, elle-même « mise au placard » depuis l’arrivée du maire LR. Hayette Hamidi, aujourd’hui conseillère municipale, n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Même scénario à Bobigny, où l’UDI a gagné grâce aux quartiers. « Ils ne sont plus sur le terrain aujourd’hui et les gens sont extrêmement remontés parce qu’il y a eu trop de promesses », juge Deniz Cumemdur, responsable des jeunes communistes de Bobigny-Drancy. La frustration s’ajoute donc au sentiment d’abandon. Et, dans les urnes, l’abstention est repartie à la hausse. « Ils nous manipulent avec des gens comme ça. Mais rien ne change lorsqu’ils sont là-haut », tranche Kamel, qui suit assidûment la politique et verse volontiers dans les théories du complot. « On se sert d’eux, ajoute Karima Khatim, et on les jette à la poubelle une fois qu’on a gagné les élections. »

[^2]: Dans l’hebdomadaire Zaman France, décembre 2014.

[^3]: Le prénom a été modifié.

Politique
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