Le commerce équitable, un outil contre l’émigration contrainte
TRIBUNE. Montrons en quoi le système international est inégal et expliquons quelle relation existe entre le prix de nos vêtements et le nombre de migrants dans les bateaux !
dans l’hebdo N° 1367 Acheter ce numéro
Aucun migrant ne s’entasse dans une embarcation de fortune ou ne s’attache sous un camion par choix. Face à ces drames, les responsables politiques ont une fois de plus évoqué la nécessité de revoir les politiques migratoires. Mais il est stupéfiant que la « solution » au « problème » des migrants ne soit envisagée que sous les angles polémiques « accueillir » ou « refouler ». Et laisser croire que l’aide éternelle changera l’ordre des choses est un mensonge. Comme le fait d’ériger des murs. En effet, comment comprendre qu’un continent comme l’Afrique, au sous-sol si riche (pétrole, uranium, métaux précieux) et producteur de tant de matières premières agricoles (café, cacao, coton…), offre si peu d’espoir d’une vie décente à une grande partie de sa population ? L’une des causes principales de la pauvreté de certains pays d’où sont originaires les migrants réside donc dans les pratiques actuelles du commerce mondial, fondées sur la rentabilité et le profit maximaux et immédiats. Leurs matières premières sont restées à un prix anormalement bas, leurs produits alimentaires ou manufacturés sont payés en dessous d’une juste rétribution du travail.
En 1971, l’abbé Pierre, en lançant les premiers échanges équitables entre le Bangladesh et la France, s’appuyait sur la même certitude que celle appliquée à Emmaüs : « Chacun a le droit de vivre de son travail là où il le veut. » Depuis, les associations de commerce équitable prônent un autre modèle basé sur la rémunération juste des producteurs, limitant les intermédiaires spéculateurs, dégageant ainsi des revenus d’existence. Pour agir sur les drames vécus par les migrants, nous devons accepter de payer au juste prix ce dont nous avons besoin. Une Malienne nous expliquait qu’elle ne pouvait vivre de la vente de ses « poulets bicyclettes » (ceux qui courent) parce que la France inonde le marché des bas morceaux de poulets industriels « levée du corps » (appelés ainsi car congelés), que nous ne mangeons guère. Les produits agricoles africains ne peuvent faire face à la concurrence des productions du Nord, notamment européennes, extrêmement subventionnées. L’agriculture vivrière, souvent familiale, visant à nourrir les populations, a été mise à mal par la pression internationale exigeant toujours plus de terres pour des cultures d’exportation.
En République démocratique du Congo, la région du Kivu est qualifiée de « scandale géologique » tellement le sous-sol regorge de minerais rares et chers dont notre sacro-sainte croissance électronique dépend. C’est de cette région francophone des Grands Lacs, où la guerre civile sévit depuis des dizaines d’années, que nombre de femmes congolaises victimes de viols utilisés couramment comme « arme de guerre » par les milices qui contrôlent le minerai partent pour demander l’asile. Oui, il est temps, ici, de vivre autrement en faisant de vrais choix politiques afin de faire cesser l’exploitation de l’autre moitié du monde. Que ce soit le coltan de nos téléphones, l’uranium de nos centrales nucléaires, notre café ou nos vêtements, nous devons sans tarder en payer le juste prix et nous interroger sur notre niveau de consommation.
Lorsque nous achetons en France en filière bio et locale, ou des produits issus du commerce équitable, ou lorsque nous militons contre le Traité transatlantique (TTIP, ou Tafta), nous agissons positivement sur les causes de ces migrations. Au lieu d’utiliser la peur, de diviser la population entre « ceux qui ne veulent pas d’émigrés » et ceux qui les aident, et de la désespérer par l’affirmation qu’« on ne peut rien faire», montrons en quoi le système international est inégal et expliquons quelle relation existe entre le prix de nos vêtements et le nombre de migrants qui montent sur le bateau ! Le commerce équitable est un outil pour éviter une émigration contrainte, qui doit s’inscrire dans et avec d’autres stratégies politiques nationales et internationales : soutien à la souveraineté alimentaire et à l’agriculture familiale par la possibilité accordée aux pays de protéger leur production nationale de la concurrence étrangère par des droits de douane, revalorisation à un prix juste des matières premières, obligation faite aux multinationales de respecter les droits de l’homme au travail et de contribuer – notamment fiscalement – à hauteur de leur activité à l’économie des pays dans lesquels elles sont implantées, etc.
Cela implique, d’une part, un engagement résolu de la France contre les traités internationaux de type TTIP qui viendront fragiliser encore plus la situation des pays du Sud ; d’autre part, une pression du gouvernement sur ses grandes entreprises qui exploitent les matières premières dont nous avons besoin pour notre consommation ; et, enfin, un engagement fort des collectivités territoriales à soutenir le commerce équitable, entre autres par la priorité donnée à ces produits dans leurs appels d’offres. Pour finir, les responsables politiques doivent soutenir toute démarche de protection des cultures vivrières ici et là-bas ; et chacun d’entre nous doit faire un cheminement vers un mode de consommation responsable. Ainsi, nous améliorerons le sort des populations qui meurent aujourd’hui en mer ou à Calais.