L’eau parisienne, un bien commun
Anne Le Strat relate comment elle a tenu tête à Suez et Veolia pour ramener l’eau de la capitale en gestion publique.
dans l’hebdo N° 1371 Acheter ce numéro
En juin 2001, quelques semaines après l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, se tient un comité d’établissement de Vivendi Eau Île-de-France, filiale de Vivendi (bientôt Veolia), laquelle détient depuis 1985 le contrat de distribution d’eau de la rive droite de la capitale. Ce jour-là, le directeur régional rassure l’auditoire quant à la nouvelle donne politique qu’induit l’arrivée de la gauche, qui met fin à l’ère Chirac (entamée en 1977) et plus largement à un siècle de gestion de droite à Paris. Il annonce que l’élue qui vient d’être nommée à la tête de la Sagep, la société d’économie mixte en charge de la production de l’eau, « est une jeune femme, écologiste et sans expérience dans le domaine : c’est une bonne nouvelle, elle n’y connaît rien, on n’a donc rien à craindre… ». Sept ans plus tard, le 24 novembre 2008, le Conseil de Paris vote la remunicipalisation de l’ensemble du service public de l’eau dans la capitale, de la production jusqu’à la distribution, avec la création d’une régie entièrement publique, Eau de Paris.
Cette jeune écolo, c’est Anne Le Strat. Elle vient de remporter un beau score dans le XVIIIe arrondissement pour les Verts (qu’elle quittera en 2007), face aux vedettes du PS et de l’UMP, Bertrand Delanoë et Philippe Séguin. Elle n’est pas du sérail, loin s’en faut. Aussi, « les premiers temps sont difficiles » avant qu’elle ne parvienne à « se faire une place dans ce monde de l’eau ». Car elle cumule plusieurs « tares » : jeune femme « au milieu d’un aréopage d’hommes bien plus âgés » ( « combien de fois suis-je prise pour la secrétaire ou la collaboratrice ! » ), Verte « donc pas inscrite dans le champ de la politique traditionnelle », universitaire spécialiste en sciences sociales « dans un monde d’ingénieurs » … L’une de ses premières décisions sera de remplacer la berline (avec chauffeur) du PDG de la Sagep pour « un vélo de fonction (partagé) » !
Ayant quitté la présidence d’Eau de Paris et sa fonction de maire adjointe de la capitale en 2014, Anne Le Strat raconte aujourd’hui, dans ce récit passionnant, la lutte pour imposer l’intérêt général contre les logiques du privé, des dividendes et des habitudes entre amis, résultat de petits arrangements et de grandes connivences entre municipalité chiraquienne et dirigeants de multinationales, issus des mêmes promotions de l’ENA et souvent membres de la direction des mêmes partis politiques, RPR en tête. Une bataille pour affirmer le caractère de bien commun de l’eau. Un exemple dont s’inspirent aujourd’hui nombre de municipalités, en Europe et au-delà, qui cherchent à reprendre la main face aux multinationales.