L’Église, un sujet éternel

Troisième et dernière saison d’ Ainsi soient-ils sur Arte. Une série captivante à contre-courant des productions habituelles.

Jean-Claude Renard  • 30 septembre 2015 abonné·es
L’Église, un sujet éternel
Ainsi soient-ils , du 8 au 22 octobre, à 20 h 50, sur Arte (coffret DVD disponible le 21 octobre).
© Nathalie Mazaeas

On arrive au bout. Après la saison 1 (en 2012), puis la deuxième (en 2014), voici la troisième et dernière annoncée. Ainsi soient-ils, c’est cette série plaçant au cœur de l’intrigue une poignée de séminaristes. Cinq au départ, trois à l’arrivée, au fil d’un récit mêlant les trajectoires personnelles et intimes de ces jeunes gens embarqués vers la prêtrise – sous la houlette d’un père, ancien prêtre-ouvrier – et les arcanes de l’Église, traversée par ses luttes de pouvoir et ses ratiocinations vaticanesques.

Avec pour cadre principal le couvent des Capucins, à Paris, haut lieu de formation et de vocations (quand bien même cette saison 3 explose les cadres), c’est là une série à contre-courant des productions françaises et internationales, versées principalement dans le polar, la politique ou l’anticipation. Avec Ainsi soient-ils, « l’Église est une clé d’entrée, confie Vincent Poymiro, coauteur de la série avec David Elkaïm. Le sujet, c’est le monde contemporain, la question de l’engagement et de l’idéal. Qu’est-ce qu’une institution, qu’est-ce qu’un choix de vie ? Nos séminaristes représentent aujourd’hui toute personne qui, à 20 ans, est entrée quelque part pour changer le monde ». Pour le coup, Ainsi soient-ils entre dans un champ social rarement exploité par les séries (si l’on excepte celles trop convenues sur l’hôpital ou l’école).

Or, justement, poursuit Vincent Poymiro, « la vocation de la fiction devrait être de nous raconter le monde sous nos fenêtres de façon tendue », en nous aidant à entrer dans la réalité, voire à lui rentrer dedans, de la manière la plus excitante, « comme les Américains ont cette capacité à rendre attrayante une station-service au coin de la rue ». Nulle obligation, pour que les personnages soient intéressants, qu’ils aient une vie de dingue ou portent un flingue. Si la série ne s’épargne pas les questions récurrentes articulées autour de l’Église, sur son économie, la crise des vocations, son influence, elle n’évite pas non plus les sujets délicats. Les sans-papiers, l’homosexualité, la pédophilie… Non pas que tout y passe : « On n’a pas cherché à faire un travail exhaustif, se justifie Vincent Poymiro. C’est la fiction et nos personnages qui nous ont guidés. » C’est ainsi que la pédophilie est abordée en saison 3, quand elle survient sur la route d’un personnage, « et qu’on a trouvé comment la raconter. » Il ne s’agit pas d’expliquer ce qu’est la pédophilie mais comment on peut reconstruire une communauté après un drame épouvantable, ce qui n’est jamais raconté de l’intérieur. « Sur les sans-papiers, ça nous semblait cohérent, en traitant une institution qui paraît très conservatrice sur les mœurs et qui, sur le plan social, prend des positions parfois très surprenantes et plutôt très avancées. On le voit aujourd’hui avec le pape. »

En terrain hostile, choisissant leur conscience plus que l’obéissance, dans cette ultime saison, avec un jeune prêtre frais émoulu (le même forniquant avec son mec le lundi, sitôt son missel remisé), qui consent aisément à laisser des ouvriers musulmans prier dans son église désaffectée, un autre qui entend fermement donner une seconde chance à un petit caïd de banlieue, c’en ferait presque des cathos de gauche. « Il y a probablement une inspiration, reconnaît Vincent Poymiro. Probablement, aussi, les cathos de gauche sont ce qu’il y a de plus intéressant en termes de fiction parce qu’ils sont dans une contradiction naturelle. » En effet, qu’y a-t-il de plus conflictuel que d’être à la fois catho et de gauche ? « On ne peut pas faire plus compliqué ! Peut-être aussi que cela représente la mémoire d’une pensée sociale qui, hélas, a été malmenée par le cynisme et le pragmatisme des vingt ou trente dernières années, et qu’il serait temps de remettre en scène des gens mus par un idéal fort. » Des personnages mus par un idéal fort, la série n’en manque pas. Même chez les plus égoïstes, les plus carriéristes et opportunistes, renforçant la complexité du récit dans un univers si remarquablement spécifique qu’il en est universel.

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