Les riches s’éclatent toujours autant
Dans une enquête drôle et fouillée, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon s’attaquent à l’évasion fiscale.
dans l’hebdo N° 1369 Acheter ce numéro
En Suisse, un étranger fortuné qui vient s’installer « sans exercer d’activité lucrative » peut négocier un « forfait fiscal », calculé selon son « train de vie ». Ou plutôt selon « la dépense présumée » de son foyer fiscal. En 2014, ces malheureux contraints de s’en acquitter étaient au nombre de 5 729, dont 3 000 Français.
Partis enquêter sur l’évasion fiscale en Suisse ou au Luxembourg en tentant d’y placer leur « maigre fortune » de directeurs de recherche à l’EHESS à la retraite, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon sont arrivés à Genève à la veille d’une votation populaire proposant d’abroger le forfait fiscal. Sur une place, devant le lac Léman, l’association Solidarités propose aux citoyens suisses de calculer ce qu’ils paieraient s’ils avaient accès à cette « formule avantageuse ». Les deux sociologues découvrent ainsi qu’avec leur Kangoo et leur pavillon de banlieue parisienne, leur impôt annuel en Suisse s’élèverait à 3,20 francs suisses (3 euros). Mais, pour une fortune de 3 milliards de francs suisses, ils paieraient 400 000 francs au titre du forfait, quand un Suisse acquitte un impôt de 8 millions de francs. Les (simples) citoyens des paradis fiscaux sont aussi victimes, dans leur pays, de ces systèmes…
Toutefois, cet essai ne se limite pas à un voyage dans les lieux fréquentés par les très riches. Les auteurs ont repris les révélations de SwissLeaks ou de LuxLeaks et observé combien les dispositifs sont efficaces : ports francs où s’entassent des œuvres d’art, fondations, trusts et sociétés écrans… Et ce en dépit des promesses de communication entre administrations fiscales. Concernant les seuls Français, 350 milliards d’euros seraient détenus offshore. Mais quid du fisc hexagonal ? Les auteurs ont longuement enquêté sur le « paquebot Bercy », qu’ils n’hésitent pas à accuser de voguer sous « pavillon de la complaisance » vis-à-vis des plus riches fraudeurs.
Rentrés en France , Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon s’interrogent sur l’effectivité de la « traque » de nos exilés fiscaux par l’administration dirigée aujourd’hui par Michel Sapin. Chiffres et témoignages à l’appui, ils montrent comment, malgré les grandes déclarations au lendemain des affaires Cahuzac et Bettencourt, l’évasion fiscale est « plus ou moins volontairement “tolérée”, “ignorée”, en faveur des contribuables particulièrement fortunés ». Ou bien, grâce à des « cellules d’amnistie fiscale », on permet à ces derniers de « se repentir », d’éviter publicité et poursuites judiciaires et de « négocier » leur impôt sur les fonds avoués à l’étranger et les pénalités afférentes. Des « transactions » qui, comme leur a confié un inspecteur des impôts, « ne sont pas conformes aux règles du redressement fiscal ».