« Much loved », de Nabil Ayouch : Le sexe dans la ville ocre

En montrant la prostitution, Much loved, de Nabil Ayouch, révèle les contradictions marocaines.

Anaïs Heluin  • 16 septembre 2015 abonné·es
« Much loved », de Nabil Ayouch : Le sexe dans la ville ocre
Much loved , Nabil Ayouch, 1 h 48.
© Pyramide Film

Much loved est plus pudique qu’il n’y paraît. Certes, les nuits de Noha, Randa, Soukaina et Hlima sont pleines d’alcool, de danses lascives et de parties de jambes en l’air. Le tout arrosé de dirhams. Mais Nabil Ayouch ne montre pas uniquement les quatre prostituées dans leur quotidien de passes et de lubricité surjouée. Il les filme aussi avant et après. Chez elles, à parler de tout et de rien, à faire la fête avec des copains transsexuels ou à désespérer de leur marginalité. Surtout, le réalisateur marocain s’intéresse aux moments où ces deux univers se croisent. Où les masques professionnels se confondent avec la vie sans obscénité ni paillettes des jeunes femmes. Par exemple, lorsque Noha – Loubna Abidar, seule actrice professionnelle de la distribution féminine – fait l’amour avec son client français incarné par Carlo Brandt, impossible de dire si elle joue la tendresse ou si elle l’éprouve.

Cette subtilité n’a rien à voir avec la polémique qu’a causée le film au Maroc, lors de sa projection à Cannes. En mai 2015, personne n’a vu Much loved dans le pays d’origine du réalisateur. La censure dont le film est victime ne repose que sur quelques extraits diffusés sur Internet, qui ne permettent pas d’appréhender toutes les nuances du naturalisme déployé par Nabil Ayouch. La réaction du gouvernement marocain prouve seulement qu’au Maroc la représentation de la sexualité est d’emblée politique. Peu importe qu’elle soit ou non portée par une pensée et une esthétique. Or, dans Much loved, chaque geste, chaque parole de Noha, Randa, Soukaina et Hlima participe à la fois d’une critique de la schizophrénie marocaine et d’un langage cinématographique complexe.

Entre scènes diurnes et sobres et débauches nocturnes, le Marrakech de Nabil Ayouch est aussi mouvant que ses protagonistes principales. À chaque plan, il change d’habits et d’expression. Comme s’il craignait de trahir quelque vérité bien cachée. Centré sur le corps des prostituées, Much loved ne montre que rarement les rues et les murailles de la ville ocre ; celle-ci n’en est pas moins le sujet central du film. Le cœur de son scénario sans intrigue, où quelques événements saillants – violences, naissance d’un amour – côtoient une multitude de petits riens. En filmant autant la joie que la peine, Nabil Ayouch fait de ces prostituées des héroïnes de la cité la plus touristique du Maroc. Des héroïnes paradoxales, certes, mais capables de s’aménager des parenthèses de liberté dans un espace qui n’en offre que peu. Surtout pour des femmes.

Cinéma
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