Portraits de magnats des médias
Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Patrick Drahi et Matthieu Pigasse.
dans l’hebdo N° 1371 Acheter ce numéro
Bernard Arnault
Indéboulonnable première fortune de France, Bernard Arnault est assis sur un magot de 34,6 milliards d’euros, en hausse de 30 % par rapport à l’année dernière. Tout ça grâce à LVMH (Louis Vuitton-Moët Hennessy), le conglomérat du luxe dont il a pris le contrôle en 1990 après avoir profité de la guéguerre opposant le clan Louis Vuitton et la famille Hennessy. Premier actionnaire individuel d’Hermès avec 8,5 %, il dispose aussi de parts dans le groupe Carrefour via sa holding, le Groupe Arnault. Peu loyal en affaires, Arnault l’est davantage en amitié (politique). Décoré chevalier de la Légion d’honneur par Édouard Balladur en 1994, il remercie le Premier ministre d’alors en recrutant son ancien directeur de cabinet, Nicolas Bazire, actuel directeur général du groupe Arnault. En 2010, Bernadette Chirac est intégrée au conseil d’administration de LVMH, en compagnie de Patrick Ouart, conseiller juridique à l’Élysée, qui devient membre du comité exécutif du groupe. Ce n’est guère étonnant lorsque l’on sait que « Bernard » était témoin du mariage de Nicolas Sarkozy et de Cécilia Attias en 1996. D’ailleurs, le Président ne pipe mot lorsque LVMH, déjà propriétaire du titre de presse économique la Tribune, qui finira par être vendu à perte, rachète les Échos en 2007. Également propriétaire de Radio Classique, Arnault vient d’acquérir le quotidien le Parisien/Aujourd’hui en France.
Sasha Mitchell
Vincent Bolloré
Héritier d’un groupe de papeteries et de la marque OCB (avec le B de Bolloré), banquier, gestionnaire de fortune et d’investissements, Vincent Bolloré, homme d’affaires autoritaire, investit tous azimuts. Pétrole, énergie solaire, plantations, réseau ferroviaire, logistique : son conglomérat fait florès en Françafrique grâce à une véritable guerre politique et économique pour prendre le contrôle de marchés émergents, y compris en Sierra Leone ou en RDC, où des experts de l’ONU ont pointé dès 2001 son rôle dans l’alimentation du conflit meurtrier, note le Monde diplomatique. Fait Commandeur de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy, il n’hésite pas à utiliser ses médias pour faire sa promotion ou flatter les dirigeants africains, notamment dans sa bataille pour récupérer la concession de ports privatisés en Afrique, accompagnée de soupçons de corruption. Il se lance dans les médias en 2000, investit dans le groupe de pub et de conseil en communication Havas, dont il devient président en 2005, et achète l’institut de sondage CSA. Actionnaire principal de Vivendi, il en devient le président du conseil de surveillance en juin 2014, prenant de fait la tête du groupe Canal +. Depuis dix ans, il développe sa propre technologie de batteries, qu’il fait fleurir avec la voiture en libre-service lancée à Paris en 2011, à Bordeaux et à Lyon en 2013, à Brazzaville en 2015. Son destin est plus que jamais lié à l’obtention des marchés publics.
Erwan Manac’h
Patrick Drahi
L’homme d’affaires franco-israélien résidant en Suisse a fait fortune dans les télécommunications. D’acquisition en acquisition, il se fonde un empire grâce aux financements de JP Morgan, de la BNP Paribas et de Barclays. Il n’entre dans les médias qu’en 2013 en créant I24news, chaîne d’information continue israélienne, pour l’heure interdite de diffusion en Israël et financée quasi intégralement à perte. En 2014, il entame une stratégie agressive d’acquisition dans le secteur des câblo-opérateurs en se finançant par l’endettement, comme l’avait fait avant lui Jean-Marie Messier. Un mois après le rachat de SFR en 2014 – où il mène une purge sans scrupule –, il apporte 14 millions d’euros dans le renflouement de Libération. Une poussière au vu de sa fortune, estimée à 14 milliards d’euros. Il prend le contrôle de l’Express au printemps dernier puis celui de 49 % de BFM et de RMC en juillet pour combler son déficit d’entregent en politique. Le commerce de Patrick Drahi dans les canaux de télécommunications le place en effet en lien d’intérêt direct avec les pouvoirs publics. Il est également en guerre économique avec d’autres magnats de la presse : Xavier Niel, fondateur de Free, et Martin Bouygues. Ce dernier s’est plaint de sa brutalité dans le secteur, à la suite de quoi Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, a convoqué Patrick Drahi, en juin, à Bercy. En mars 2014, lors du rachat de SFR, Arnaud Montebourg faisait aussi ouvrir une enquête sur la résidence fiscale exacte de l’homme d’affaires de 52 ans. Domicilié en Suisse, il héberge une holding privée à Guernesey, paradis fiscal britannique, et a déménagé le siège de sa société en août du Luxembourg vers les Pays-Bas.
E. M.
Matthieu Pigasse
Après une brève carrière de haut fonctionnaire chargé de la dette, cet énarque d’à peine 30 ans atterrit au cabinet de Dominique Strauss-Kahn puis à celui de Laurent Fabius, ministres du gouvernement de Lionel Jospin au tournant des années 2000. Après l’alternance, en 2002, il est soutenu par Alain Minc pour intégrer le directoire de la banque Lazard, où il conseille de nombreux gouvernements du monde entier. Il conserve depuis des liens étroits avec les socialistes. Engagé sur une ligne « sociale-libérale », strauss-kahnien, il conseille Ségolène Royal en 2007 et intervient dans le débat public en faveur de François Hollande. Sa banque décroche en 2012 le mandat de conseil de la Banque publique d’investissement. En 2015, le feu follet de 47 ans conseille Syriza après avoir tancé son programme économique. Issu d’une famille de journalistes, Matthieu Pigasse a longtemps joué le rôle d’ intermédiaire dans les achats-ventes de médias, il franchit le pas en 2009 en achetant les Inrockuptibles, puis prend le contrôle du Monde en 2010 avec Pierre Bergé (Yves-Saint-Laurent) et Xavier Niel (Free).
E. M.