Quand le peuple brûle les planches
Marcel Bozonnet crée un spectacle choral sur la notion de soulèvement.
dans l’hebdo N° 1371 Acheter ce numéro
Marcel Bozonnet, qui a dirigé la Comédie-Française et le Conservatoire national d’art dramatique, est un personnage peu banal. Une fois revenu à la vie d’artiste, il a créé une compagnie, Les Comédiens voyageurs, et a mené, en effet, une vie de baladin itinérant. L’acteur-metteur en scène semble plus politisé qu’autrefois, mais il répond par la négative quand on lui pose la question : « J’ai toujours été politisé, mais, comme on identifie institutions et réaction, on croit que les directeurs s’assagissent. Ce n’est pas le cas. À la Comédie-Française et au Conservatoire, il y a une démocratie, avec des oppositions et des débats politiques. Quand j’ai quitté le Français, je suis allé dire la parole d’Artaud dans les collèges ; ma compagnie joue un répertoire qui va de la Princesse de Clèves à Chocolat, clown nègre en passant par le Couloir des exilés, d’après l’essai de Michel Agier. » Il présente aujourd’hui Soulèvement(s), un spectacle qu’il a coécrit et qu’il joue dans une mise en scène collective avec Valérie Dréville et Richard Dubelski.
Les révoltes de Tunisie et de Syrie ont été en partie le déclencheur du projet. Mais c’est la Révolution française qui est au cœur du spectacle. N’en ayant qu’un savoir de surface, Bozonnet s’est plongé, avec Judith Ertel, dans l’épaisseur des documents et des essais. « J’ai entrepris, comme disent certains historiens, de “faire remonter” des événements moins connus. Avec Judith Ertel, nous nous sommes imprégnés des ouvrages de Sophie Wahnich, qui est conseillère sur le spectacle, et nous avons pensé à bien d’autres révoltes. Nous avons appréhendé le peuple en tant que notion non pas sociale mais politique. Quand nous citons une phrase de Robespierre ou de Mirabeau, nous ne précisons pas de qui elle est, mais nous donnons le nom de tous les révoltés, gens simples et oubliés. »
Après bien des recherches et des tâtonnements, Soulèvement(s), dont le titre a été préféré aux termes « révolution » ou « révolte » pour échapper à trop de connotations historiques, tourne autour de trois événements liés à la Révolution française. D’abord, l’insurrection de Saint-Domingue, en 1791. Sur ce territoire, quelques Blancs réduisaient l’ensemble de la population en esclavage, les Noirs ont tout incendié. Puis les émeutes du sucre à Paris, en janvier 1792. Dans le faubourg Saint-Antoine, les spéculateurs faisaient monter le prix du précieux aliment en prétextant que cette hausse était liée aux révoltes des Antilles, alors que les magasins étaient pleins. Les habitants du faubourg libérèrent le sucre ! Enfin, la manifestation des Parisiens à l’Assemblée nationale, le 20 juin 1792, quand les faubourgs Saint-Martin et Saint-Marcel envahirent le palais des Tuileries, habité par Louis XVI. Selon Bozonnet, le spectacle « fait remonter des faits mais aussi des idées : le premier droit est le droit à l’existence, le peuple a des droits quand les représentants le trahissent ». La forme théâtrale de ces événements mis en récits et en perspective, l’équipe l’a cherchée longtemps, une fois établi le texte de Bozonnet et d’Ertel. « C’est choral, mais pas seulement, dit Bozonnet. De l’agit-prop ? Oui, parce qu’on s’agite beaucoup ! Mais il n’y a pas de propagande. On se détache les uns des autres pour représenter certaines figures. Il y a des “je” et il y a un “nous”. Les mouvements ont été chorégraphiés. Richard Dubelski apporte une double présence d’acteur et de percussionniste. Valérie Dréville est centrale, elle porte la parole du soulèvement. »