Royaume-Uni : Avec Jeremy Corbyn, la gauche ressuscitée
Sympathisants et adhérents du parti travailliste ont choisi leur nouveau leader. Le vétéran Jeremy Corbyn, issu de la gauche du parti, l’a emporté.
dans l’hebdo N° 1368 Acheter ce numéro
Barbe blanche en broussaille , main dans la poche et coude droit appuyé sur le pupitre posé à l’extrême gauche de la scène, Jeremy Corbyn est apparu plus détendu et confiant que jamais, hier soir, lors du dernier débat des élections internes au parti travailliste. Celles qui révèleront, lorsque les résultats seront annoncés le 12 septembre, le nom du prochain chef de l’opposition, chargé de contrer les conservateurs, et, à terme, de mettre David Cameron à la porte du 10, Downing Street, en 2020.
Une heure et demie durant, le député d’Islington North (Londres), largement en tête dans les sondages, a laissé ses trois concurrents se fatiguer, s’énerver. Sans jamais élever la voix. Devant un public acquis à sa cause, il a réaffirmé, inlassablement, son opposition à l’austérité, sa volonté de renationaliser certains secteurs stratégiques de l’économie et la nécessité de voir émerger de la crise actuelle une Europe sociale et solidaire. Un bol d’air frais pour un parti travailliste en mal de gauche depuis l’avènement du New Labour de Tony Blair et de Gordon Brown.
Un paradoxe, aussi, tant la popularité de « Jez » Corbyn est improbable et inattendue.
Renationalisation des compagnies de chemin de fer
Elu à la Chambre des communes depuis 1983 , vieux routard de l’aile gauche du parti, Corbyn n’a rien d’un leader. Il est ce que les Britanniques appellent un « backbencher », un simple député sans responsabilité au sein du « shadow government ». Farouche opposant à l’intervention armée en Irak, il a voté plus de 530 fois en 32 ans contre l’avis de son propre groupe au Parlement. A 66 ans, l’idée de se lancer dans la course à la direction du Labour ne lui avait même pas effleurée l’esprit. Il a fallu le convaincre, lui dire que la gauche du parti avait besoin d’être représentée pendant la campagne. Le 15 juin, quelques minutes seulement avant la clôture des inscriptions, il a fini par accepter, histoire « d’élargir le débat », comme on dit. Personne, et encore moins les favoris d’alors, Andy Burnham, proche du leader démissionnaire Ed Miliband, et Yvette Cooper, ne lui accordait un quelconque crédit. Il allait terminer dernier de la course, comme Diane Abbott, représentante de la gauche de la gauche, cinq ans plus tôt.
Et puis la machine Corbyn s’est mise en route. De réunions publiques en plateaux de télévision, son message a commencé à plaire. Aux déçus du New Labour et aux jeunes, surtout. Aux « insouciants », ceux qui n’ont pas connu les déroutes électorales du Labour des années 1980 et « la plus longue lettre de suicide de l’histoire », surnom donné au programme de Michael Foot en 1983, jugé trop à gauche. Lorsque ses concurrents appellent au contrôle des dépenses, Corbyn propose d’investir massivement dans les infrastructures publiques et de renationaliser les compagnies de chemins de fer. Les frais d’inscriptions à l’université ? Très peu pour lui. Tout comme une éventuelle intervention au sol en Syrie.
Eviter de retomber dans le piège conservateur
Depuis le 10 août, Corbyn est en tête dans tous les sondages et a reçu le soutien des principaux syndicats du pays. Ses réunions publiques font salle comble. Et son succès inquiète au sein de son propre camp. Beaucoup, à commencer par l’ancien premier ministre Tony Blair, craignent qu’un parti emmené par Jeremy Corbyn ne se fasse écraser une nouvelle fois par les conservateurs en 2020. Le trauma des élections générales du 7 mai dernier est encore présent dans tous les esprits. A droite, au contraire, on jubile. On parle de ces sympathisants conservateurs qui auraient payé les £3 afin de prendre part au vote et propulser Corbyn à la tête du parti, vers la catastrophe assurée.
Mais si les travaillistes ont perdu les dernières élections, c’est aussi parce qu’ils sont tombés dans le piège des conservateurs. Celui consistant à faire croire aux électeurs que la crise de 2008 était en grande partie due aux dépenses excessives du gouvernement de Gordon Brown. Au cours des mois précédents le scrutin, Ed Miliband a progressivement admis que les dépenses allaient devoir être coupées, même sous un gouvernement travailliste. A la copie, les électeurs ont préféré l’original. La victoire probable de Corbyn samedi prochain, aura le mérite de replacer le curseur à gauche et d’offrir aux Britanniques une opposition digne de ce nom à la politique pro-riches et hostile aux plus précaires de David Cameron.
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