Alexandre Romanès : « N’oublions pas les Tziganes ! »
Le drame des réfugiés mobilise Alexandre Romanès, qui rappelle les mauvaises conditions d’accueil réservées au peuple du voyage.
dans l’hebdo N° 1372 Acheter ce numéro
Depuis plus de vingt ans, Alexandre Romanès parcourt les routes du monde en compagnie de sa famille, de sa troupe et de son cirque. De retour à Paris pour son nouveau spectacle, La lune est plus poétique que le soleil, cet esthète voyageur s’exprime sur la situation des migrants en France et en Europe. Nous l’avons rencontré dans son nouvel espace, près de la porte Dauphine [^2].
Vous qui êtes un homme du voyage, quel regard portez-vous sur le débat autour de l’accueil des réfugiés ?
Alexandre Romanès : Les politiques tentent de nous faire croire qu’il s’agit d’une situation ingérable et qu’il est difficile d’héberger tant de personnes. Auraient-ils oublié tous ceux qui ont rejoint la métropole après la guerre d’Algérie [^3] ? Pourtant, tous ont été relogés. C’est le minimum que l’on doive offrir aux réfugiés aujourd’hui, qui sont beaucoup moins nombreux. Mais je n’oublie pas non plus les Tziganes dont les camps sont démantelés et qui sont laissés sans assistance. Comme ces réfugiés qui ne veulent pas rester en France, les Tziganes préfèrent s’installer dans les pays du Sud. En Italie, il y en a environ 100 000, tout comme en Espagne, où ils trouvent du travail dans le bâtiment ou l’agriculture. En France, nous sommes environ 15 000 et ça pose problème ! Cela ne fait pas très longtemps que nous possédons des papiers d’identité. Avant, nous avions un carnet de circulation que nous devions faire tamponner au commissariat tous les deux mois, au service étranger ! Et dire que nous avons été français avant les Niçois, les Corses ou les Savoyards ! Mais certains ont peur du mot « tzigane ».
Pourquoi cette peur ?
Les Tziganes sont des nomades, et le nomadisme fait peur. Les Bédouins, par exemple, sont eux aussi marginalisés. Nous inquiétons parce qu’il est difficile de contrôler les nomades. Il est donc essentiel que les gens découvrent notre culture. Nous représentons la liberté, nous sommes sans conventions, c’est sûrement pour cela que d’autres nous aiment tant.
Votre cirque est aussi destiné à faire connaître votre culture. Comment aimeriez-vous que votre spectacle soit perçu ?
Avant toute chose, je souhaite que ce soit poétique ! J’ai un petit reproche à faire au monde du cirque en général. On veut trop nous montrer du « grandiose ». On ne reconnaît même plus le chapiteau, les spectacles se déroulent dans de grands bâtiments. Le chapiteau, c’est pourtant ce qui faisait l’essence du cirque. Avec Delia, ma femme, nous voulons sauvegarder cet esprit. Pour notre nouveau spectacle, La lune est plus poétique que le soleil, nous avons tenté d’incorporer quelque chose de neuf. Nous avons intégré plusieurs cousines danseuses dans le numéro. En mélangeant danse et spectacle, on espère arriver à quelque chose de vraiment beau, poétique. Je n’ai pas d’idée précise de ce que je voudrais faire passer : les spectateurs se fabriquent une histoire. Après une représentation, quelqu’un m’a dit : « Lorsque l’on sort de chez vous, on est totalement dépaysé. » Entendre cela, c’est une récompense.
En ces temps de méfiance et de peur de l’autre, comment avez-vous été accueillis dans le XVIe arrondissement ?
La Mairie de Paris, qui nous a trouvé cet emplacement, nous a bien aidés. Mais cela a été un peu plus compliqué avec la mairie du XVIe. Il n’y a pas longtemps, les élus de l’arrondissement avaient pour projet de construire un grand parking à l’endroit que nous occupons actuellement. Les habitants du quartier se sont mobilisés contre cette perspective, ils ont fondé des associations et ont obtenu gain de cause : le projet a été annulé. Nous nous sommes installés juste après cette histoire. Certains se sont dit : « Après les cars, voilà les Tziganes ! » Mais nous nous sommes parlé et tout a fini par s’arranger.
[^2]: Le cirque Romanès donne son nouveau spectacle à partir du 17 octobre, square Parodi, bd de l’Amiral-Bruix, Paris XVIe, 01 40 09 24 20.
[^3]: Environ un million de réfugiés d’Algérie ont rejoint la métropole à la fin de la guerre d’indépendance.