Bernie Sanders : Le « socialiste » qui séduit l’Amérique [Archive]
Lors du premier débat démocrate, Bernie Sanders a rencontré un improbable succès. Correspondance à New York, Alexis Buisson.
dans l’hebdo N° 1373 Acheter ce numéro
Vendredi 18 septembre, la salle de spectacle new-yorkaise Town Hall est pleine à craquer. Quelque 1 500 supporters sont venus acclamer le bouillonnant sénateur du Vermont Bernie Sanders, vêtus de tee-shirts « Bernie » et brandissant des pancartes « Join the Revolution Today » (« Rejoignez la révolution aujourd’hui »). « Mes frères et sœurs, dit celui-ci tel un prêcheur, je vous supplie de penser grand. Nous sommes le pays le plus riche de l’histoire. Nous pouvons nous attaquer à la classe de milliardaires qui n’a rien à faire des travailleurs et de leurs enfants. Nous sommes plus nombreux qu’eux ! » Bernie Sanders, 74 ans, « socialiste démocrate » autoproclamé, passerait sans doute inaperçu en France. Il parle de la nécessité d’augmenter le salaire minimum, de créer une taxe sur la spéculation financière, de faire baisser le chômage par un ambitieux programme de chantiers publics et de lutter contre « les PDG surpayés qui attaquent les salariés ».
Aux États-Unis, où « socialiste » est un mot tabou depuis le maccarthysme, rares sont les hommes politiques de premier plan à parler de la lutte contre les inégalités comme il le fait. Il est encore plus rare qu’ils parviennent à percer pendant une primaire pour la présidentielle. C’est pourtant le cas de « Bernie », qui a annoncé avoir levé 26 millions de dollars en donations individuelles le trimestre passé, et fait parfois mieux qu’Hillary Clinton dans les sondages, notamment dans les États clés du New Hampshire et de l’Iowa. « Nous sommes allés tellement loin dans la crise du libéralisme économique que nous assistons aujourd’hui à un retour de balancier sans précédent vers la gauche », analyse Jack Ross, auteur de The Socialist Party of America, un ouvrage sur le socialisme aux États-Unis. Bernard Sanders a grandi dans le quartier populaire de Flatbush, à Brooklyn, où se sont installés son père, commerçant de peinture dont la famille a été décimée par l’holocauste, et sa mère, une New-Yorkaise juive. « Nous n’avions pas beaucoup d’argent, se souvient Larry Sanders, le frère aîné de Bernard, parti faire carrière en Angleterre au sein du Green Party. Nous avions souvent des disputes autour du manque d’argent et de sécurité. Mais nous n’étions pas dans le besoin matériel. Nous avions à manger, de bonnes écoles et de bonnes librairies. L’impact se faisait surtout sentir au niveau psychologique, avec cette peur latente du lendemain. » À l’école, Bernie Sanders se distingue par ses qualités de coureur hors pair. Il rêve d’Harvard mais fait ses études à Brooklyn, près de sa mère malade, puis à l’université de Chicago, où il découvre le militantisme, dans le contexte d’agitation sociale des années 1960. Avec d’autres, il mène plusieurs actions contre la ségrégation raciale pratiquée au sein des logements universitaires et participe, en 1962, au premier sit-in pour les droits civiques de l’histoire de Chicago.
Attiré par la vie rurale, Sanders s’installe dans le Vermont. Là, dans la quiétude de cet État du nord-est américain connu pour être progressiste, la politique le rattrape. Tour à tour écrivain, charpentier, scénariste, il s’engage dans un parti local issu de l’opposition à la guerre au Vietnam. Sa première campagne a lieu en 1972. Il vise alors le gouvernorat, mais ne recueille que 4,1 % des voix. Le tournant intervient en 1981 quand il est élu maire de Burlington (Vermont), une commune de 40 000 habitants coincée entre lacs et montagnes, avec 10 voix d’avance sur son adversaire. « Il a fait beaucoup pour inclure les marginaux dans la vie démocratique locale, équilibrer les budgets, soutenir le développement durable… Il a beau être socialiste, il n’était pas anti-business, se souvient Peter Clavelle, un ami qui lui a succédé comme maire. Bernard a un fort caractère. Il travaille beaucoup et s’attend à ce que tout le monde fasse de même. Il pousse les individus. » Élu représentant puis sénateur du Vermont, Sanders, qui admire les systèmes sociaux scandinaves, a une réputation d’excentrique au Congrès. Dans un portrait que le New York Times lui consacre en 2007, après son élection au Sénat, il est décrit par d’autres parlementaires comme isolé, en raison de son tempérament impétueux notamment. Cela ne l’empêche pas de travailler avec des personnalités opposées à lui sur l’échiquier politique, comme le libertaire Ron Paul, pour rejeter le Patriot Act, cette loi antiterroriste jugée liberticide par ses détracteurs. Aujourd’hui, Bernie Sanders n’est plus seul et il compte bien aller jusqu’au bout, même si Hillary Clinton reste mieux placée que lui pour emporter l’élection générale. « J’aurais été surpris que Bernard ne se fasse pas remarquer pendant cette campagne, confie Larry Sanders. Les inégalités aux États-Unis sont réelles, et elles sont diversement ressenties par la population. »