Espagne : Où en est Podemos ?
Après l’échec du scrutin catalan, le parti tente de se repositionner comme une force transversale pour gagner des voix aux élections générales de fin d’année. Correspondance, Laura Guien.
dans l’hebdo N° 1373 Acheter ce numéro
Des idées « de sens commun, transversales et transformatrices ». Pablo Iglesias et Iñigo Errejon, son numéro 2, ont ainsi redéfini la ligne de Podemos dans une lettre ouverte adressée à la base de leurs votants. Une mise au point plus que nécessaire avant la dernière ligne droite des élections générales espagnoles, prévues le 20 décembre prochain, et après l’échec des élections régionales catalanes, où la candidature unitaire présentée par Podemos, rassemblant gauche alternative et partis écologistes, a accusé un très faible score (8,94 %). Dans cette campagne catalane très polarisée autour des questions identitaires, la position ambiguë d’Iglesias sur la question indépendantiste, favorable au « droit à décider » mais opposé à une indépendance unilatérale, n’a pas joué en faveur de la formation adoubée par Podemos et aurait même nui au parti à l’échelle nationale.
Alors que le Centre d’investigation sociologique (CIS) évaluait à 15,7 % les voix acquises à Podemos en juillet, un sondage du quotidien El Pais mené en octobre les crédite désormais de 14,1 % tandis que le journal conservateur la Razón estime les intentions de vote à 11,2 % après les élections catalanes. Si ces derniers chiffres sont à relativiser, Podemos s’inscrit toutefois dans une tendance générale au ralentissement depuis janvier dernier. « Podemos ne va pas mal, mais il va moins bien », souligne la politologue Marta Romero. Selon la spécialiste, le manque de renouvellement du discours et l’hyper-leadership de Pablo Iglesias auraient joué un rôle dans la perte de vitesse du parti. « Le problème, c’est que le discours d’Iglesias, très centré sur les difficultés économiques, est apparu comme trop répétitif. Il n’a pas su se renouveler. » En effet, une enquête du CIS réalisée en septembre révèle que la perception de la situation économique est légèrement moins anxiogène chez les Espagnols : 20,4 % d’entre eux la perçoivent comme plus positive et plus d’un quart de la population pense qu’elle s’améliorera encore d’ici à l’année prochaine.
Reprendre le pouls de la société est donc devenu une priorité pour le parti. Officiellement, Podemos a décidé d’en revenir à la recette qui a fait son succès : se recentrer sur la participation et les propositions citoyennes via la mobilisation de ses Cercles. L’autre défi, plus officieux, est de se repositionner comme la grande force transversale en Espagne. Dans ce but, le parti vient de couper court aux négociations avec le parti de gauche radicale Izquierda Unida (IU). Un geste qui traduit l’ambiguïté qu’entretient Podemos avec la gauche. Refusant, selon ses propres termes, de s’y « laisser enfermer » sur le plan national, mais ne soutenant, au niveau local, que des coalitions électorales qui y sont naturellement affiliées, comme la candidature unitaire catalane, ou celles, victorieuses, des élections municipales de Madrid et de Barcelone. Le dévoilement de son programme, le 15 octobre, auquel a participé l’économiste français Thomas Piketty, permettra-t-il à Podemos de « transversaliser » à nouveau son message ? L’équation semble pour l’instant difficile. Car, sur le banc des adversaires, le parti Ciudadanos (centriste) est mieux positionné pour capter l’électorat du centre, décisif dans les élections générales à venir.
De plus, selon le politologue Pablo Simón, « dépasser le Parti socialiste en nombre de votes est maintenant exclu pour Podemos. Le challenge est désormais de devenir la force à la gauche des socialistes qui réussira à être décisive dans la formation du gouvernement ». Là encore, le défi est ardu pour le parti d’Iglesias, qui a traditionnellement défini le Parti socialiste comme son ennemi naturel, au même titre que le Partido Popular (droite conservatrice au pouvoir). Néanmoins, une alliance post-électorale pourrait encore permettre à Podemos de jouer un rôle clé, comme l’analyse Marta Romero : « Le paysage politique est de plus en plus fragmenté et aucun parti ne va pouvoir gouverner en solitaire. Podemos, avec moins de votes que ce que l’on avait prévu au départ, peut tout de même être décisif. » Pour cela, il faudra sans doute que le parti résolve certaines de ses ambivalences sur la question territoriale, mais aussi sur ses relations avec la gauche. Des défis qui ne seront pas sans quelques risques politiques. Mais c’est le jeu de toute campagne.