Feu ! Chatterton : Cinq garçons qui s’embrasent

Sur scène depuis deux ans, Feu ! Chatterton sort son premier album. De jeunes rockers romantico-burlesques électrisés par le décollage de leur projet.

Ingrid Merckx  • 14 octobre 2015 abonné·es
Feu ! Chatterton : Cinq garçons qui s’embrasent
© **Ici le jour (a tout enseveli)** , Feu ! Chatterton, Barclay. Concerts : Paris le 19 octobre (Trianon), Saint-Avé (56) le 24, Massy (91) le 28, Castres (13) le 29, Tulles (19) le 30, Vendôme (41) le 31… Photo : Fanny Latour Lambert

Ils arrivent à notre rendez-vous au compte-gouttes. Leur manageur grogne. Antoine, à l’heure, prend pour les copains. C’est le benjamin : 26 ans quand les autres le toisent de leurs 28. Plus blond, plus discret, c’est peut-être lui qui ressemble le plus à Chatterton. Ce poète romantique suicidé à 17 ans et célébré par Vigny et Gainsbourg s’est aussi retrouvé couché par Henry Wallis sur un tableau dont le groupe a fait son totem. Moins par propension aux noires humeurs, semble-t-il, que par volonté commune de transmuer la figure tutélaire. Des costumes, une affection pour les auteurs du XIXe et des obsessions qui croisent Led Zeppelin et Radiohead : le groupe Feu ! Chatterton s’est d’abord appelé Chatterton, avant l’ajout d’une expression qui marie la désuétude et l’élégance, le drame et le burlesque, le littéraire et la dérision. Et à laquelle ses membres ont adjoint un point d’exclamation qui n’a rien d’anodin. C’est plus qu’un morceau de piment, une allumette : le poète ne meurt plus, il s’embrase…

L’image compte pour ce groupe qui prend garde à ses photos et vidéos, notamment aux captations de concert, qui, traitées à égalité sur Internet avec des enregistrements qu’ils soignent, les chagrinent. C’est ce qu’explique Arthur, le chanteur. Ici le jour (a tout enseveli), leur premier album, est à la fois l’aboutissement d’années de travail, avec des textes nés avant le groupe, et « le sédiment de nos années de collaborations ainsi que des idées surgies le jour de l’enregistrement », précise-t-il. Soit douze compositions, dont une instrumentale (« le Pays des palmes »), petite valse signée Antoine. « Le musicien le plus abouti de nous tous », estime le chanteur. Antoine a été arraché du conservatoire de région où il étudiait la contrebasse classique par le trio fondateur du groupe : Arthur et les deux guitaristes, Sébastien et Clément, qui cherchaient un bassiste et un batteur. « On voulait monter nos chansons pour la scène. Antoine est venu jouer avec nous pour se changer les idées. Il n’aimait que les parties instrumentales. J’avais l’impression de l’ennuyer avec mes textes. » Et puis ? Le feu a pris. « La contrebasse me manque, admet Antoine, mais faire des tournées avec des potes était un rêve de gosse. »

Et ce rêve qui se concrétise électrise les cinq rockers. Ils ont enregistré leur premier album en Suède avec Samy Osta, réalisateur de leur EP (pré-album de quatre titres sorti en septembre 2014) et de « Bic Medium », morceau de 13 minutes en 4 mouvements. « On avait besoin d’un cadre permettant une attention à l’autre et un dialogue permanents, explique Arthur. On voulait se retrouver dans une bulle et faire que l’album soit une expérience en soi. » Or, il est moins onéreux d’enregistrer trois semaines en Suède qu’à Paris. « On dormait dans le studio : un navire de bois vieilli sans fenêtre dans une zone industrielle de Göteborg », sourit Arthur. « Il y avait aussi une raison technique : le matériel de ce studio est rare et original, ajoute Sébastien, troisième musicien à arriver. La table de mixage n’existe qu’en quatre exemplaires. Elle a été utilisée par Queen et Bowie ! Heureusement, on ne l’a su qu’à la fin », souffle-t-il. Cette console au son « analogique, organique » donne une couleur à l’album, qui allie des compos rock, électro, pop, hip-hop avec des saturations, des pistes de cuivres ou des chœurs, comme sur « Boeing ». L’aérien inspire Feu ! Chatterton. « Côte Concorde » – sur la catastrophe du Costa Concordia  – étant peut-être le plus convaincant de l’album du point de vue de la mélodie et le plus révélateur de l’identité de groupe : un climat rétro-futuriste, une langue un peu précieuse qui épouse la rythmique avec une élasticité peu commune, un tempo de ballade chutant dans un cri… « Une esthétique années 1970 mais modernisée », tente Raphaël, le batteur, en s’installant autour de la table. Le cinquième musicien, Clément, n’arrivera pas à temps pour l’entretien. « Ce n’est pas un album revival, prévient Arthur. Mais cette touche seventies fait comme un cocon sur le disque. » C’est sans doute avec ce son de groupe, cette quête de cohérence et d’une identité collective, que Feu ! Chatterton se distingue le plus.

Ils font tous les arrangements à cinq. Sébastien et Antoine viennent de la musique improvisée, ils jouaient déjà ensemble quand ils ont rencontré Arthur, au lycée Louis-le-Grand. Prestige. Quartier latin. Classes prépas commerciales et scientifiques. Puis grandes écoles. Du lycée, ils se souviennent qu’ils avaient le temps de jouer. Arthur ne chantait pas alors, il écrivait. « Et déclamait ! », s’amuse Sébastien. S’ils ont usé leurs jeans sur les bancs de l’élite parisienne et laissé pousser leurs cheveux dans la cave humide de Sébastien –  « Fallait sentir l’odeur quand on remontait ! » –, ils ne sont pas pédants. Beaux gosses. Bons élèves. Bien sapés. Bien élevés. Mais timides : ils n’ont ni l’air fanfaron des musiciens qui décollent ni le côté crâneur des têtes de classe qui sortent des rails. Sympas. Arthur a commencé à dire ses textes sur des impros de guitare. Puis il s’est essayé seul sur la scène slam. Cela s’entend dans son chant, qui marque d’abord par son phrasé (« Harlem ») ; sa métrique : « les requins/Que j’ai dans la coloquinte » (« Fou à lier ») ; puis son lyrisme groovy : « Et mes largesses/Tu les mis à l’index/C’est déjà ça/À l’index ah !/C’est déjà sale » (« la Mort dans la pinède »). On pense à Noir Désir. À cause de Lautréamont, du léger grain sur la voix et du mélange de brillance et de noirceur. « Dandys »  ? Ils sont OK pour le côté romantico-décadent : « Jouir du parfum des fleurs, tantôt je kiffe tantôt je pleure. » Il y a quand même un peu de mélancolie dans leurs chansons, des ambiances pluvieuses, des airs de désenchantement. Mais dans leur discours et leur unité, ce ne sont pas les tourments qui transparaissent, plutôt la joie et l’envie.

Musique
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