Jean-Luc Einaudi, pionnier en histoire
Un portrait émouvant de l’homme qui sortit de l’oubli le massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961.
dans l’hebdo N° 1373 Acheter ce numéro
Le 17 octobre 2015, Anne Hidalgo, maire de Paris, et de nombreux élus de la capitale se rendront sur le pont Saint-Michel, face à la préfecture de police. Comme chaque année, ils déposeront une gerbe devant la plaque commémorative inaugurée le 17 octobre 2001 par Bertrand Delanoë, en mémoire de la manifestation pacifique des Algériens, le 17 octobre 1961, contre le couvre-feu raciste institué à leur seule encontre. Une manifestation sauvagement réprimée par la police, alors sous les ordres du préfet Maurice Papon. On le sait aujourd’hui, les victimes, matraquées à mort, pendues dans les bois de communes de banlieue, fusillées ou noyées dans la Seine, furent plusieurs centaines. Si les élus parisiens se recueillent aujourd’hui, alors que cette violence inouïe en plein Paris a été occultée durant des décennies, on le doit essentiellement à un homme : Jean-Luc Einaudi. Et à son livre paru en 1991, la Bataille de Paris. Le titre reprenait d’ailleurs, non sans ironie, celui du chapitre des mémoires de Papon où le préfet se vante d’avoir « tenu Paris » face aux hordes du FLN et reprend la thèse officielle de… deux morts.
Poursuivi en justice en 1999 par Maurice Papon – l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde, qui, en août 1942, a organisé la déportation des juifs bordelais –, Jean-Luc Einaudi fait citer Pierre Vidal-Naquet à la barre. Ce jour-là, l’auteur de l’Affaire Audin répond à l’ancien préfet de police qui demande aux juges de « faire taire ce pseudo-historien » : « L’histoire est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls historiens. » Avant d’ajouter, à l’intention d’Einaudi : « On ne naît pas historien, on le devient. » De fait, ce dernier n’était pas historien, mais éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse.
En consacrant son ouvrage à cette véritable « bataille » que Jean-Luc Einaudi a menée pour faire sortir du déni l’histoire de cette terrible « ratonnade », contre la version officielle, le verrouillage des archives, les mensonges et « l’omerta » des responsables et des partis politiques de l’époque (à l’exception du PSU), l’historien Fabrice Riceputi, enseignant dans un quartier populaire de Besançon, dresse aussi un portrait sensible de l’homme. Ancien militant maoïste dans les années 1970 et rédacteur de l’Humanité rouge, le quotidien de son organisation, où il apprend les enquêtes de terrain, Jean-Luc Einaudi entendra parler du 17 octobre 1961 par les anciens militants anticolonialistes à la gauche du PCF. Jusqu’à ce qu’il se décide, en pionnier et en marge de son travail d’éducateur, à retrouver des témoins et certaines archives, et publie ce livre grâce auquel la vérité ne pourra plus jamais être niée. Cette Bataille d’Einaudi est à la fois un hommage et le récit d’une revanche sur une histoire officielle mensongère.