Serge Teyssot-Gay : « Créer un accident musical »
Zone Libre PolyUrbaine, le nouveau projet de Serge Teyssot-Gay, est fait de rap bilingue, de rythmes impairs et de riffs de guitare entre rock et world.
dans l’hebdo N° 1375 Acheter ce numéro
Àla base de Zone Libre PolyUrbaine, il y a le batteur compositeur Cyril Bilbeaud et le guitariste Serge Teyssot-Gay. Sur le quatrième album du groupe, les deux musiciens sont rejoints par deux rappeurs, le Franco-Libanais Marc Nammour, membre de La Canaille, et le poète improvisateur new-yorkais Mike Ladd. Une rencontre sur fond de rythmes hypnotiques et de guitare libre qui met sur le même plan voix, textes et instruments.
Votre façon de vous « balader » avec votre guitare sur les morceaux de Zone Libre PolyUrbaine est proche de ce que font les guitaristes dans la musique africaine…
Serge Teyssot-Gay : L’influence de l’afro-beat est prépondérante dans l’album. Ce qui me fascine, dans les disques de Fela Kuti, c’est leur esprit collectif. Le fait que chaque musicien est au service d’une musique dans son ensemble. Le guitariste joue par exemple exactement la même chose pendant un quart d’heure sans chercher à être démonstratif. Ce qui compte, pour lui et pour les autres, c’est l’histoire qui est racontée musicalement et la transe qui en découle. L’addition des différences de chacun crée quelque chose d’unique. Depuis longtemps, je cherche à aller dans cette voie. Aujourd’hui, cette envie se concrétise pleinement.
Cet échange musical à la fois complémentaire et égalitaire paraît plus proche du jazz que du rock.
Effectivement. Si la notion de groupe de rock a fonctionné pour moi avec Noir Désir – ce fut d’ailleurs la seule fois dans mon parcours musical ! –, c’est parce qu’il s’agissait de ma première expérience en la matière. La base de PolyUrbaine, c’est Cyril Bilbeaud et moi. Ensuite, l’idée était de donner aux invités, le rappeur Marc Nammour et le poète américain Mike Ladd, une place prépondérante.
L’une des originalités de l’album, c’est de faire se croiser sur des mêmes morceaux le flow anglo-saxon de Mike Ladd et la langue française de Marc Nammour.
L’idée de réunir Mike et Marc est née peu de temps avant un gros festival, à Caen, où j’étais programmé. Pour ne pas présenter un show huilé et sans surprise, comme c’est souvent le cas dans ce genre de manifestation, je leur avais demandé de venir faire quelque chose avec moi, de provoquer un accident musical. Nous nous sommes tous rencontrés pour la première fois trois jours avant le concert. Marc m’a parlé d’un texte sur le monde ouvrier qu’il avait écrit, nous sommes partis là-dessus.
L’enregistrement de l’album est venu rapidement après ?
Il s’est passé un an entre notre passage au festival et le mixage définitif de l’album, qui a été enregistré en plusieurs étapes. J’avais envie de proposer une musique positive, qui rende compte de l’énergie de la ville, celle que dégagent les gens qui y travaillent.
Entre l’inspiration afro-beat et la présence de Mike Ladd, le disque est ouvert artistiquement et culturellement.
Mike Ladd possède un univers verbal vraiment coloré. Déjà, au départ, il vient d’un autre pays, il se balade beaucoup sur la planète, rencontrant de nombreux artistes qui cultivent, eux aussi, l’oralité. Il est toujours en demande de nouvelles expériences artistiques. Il est dans la poésie du langage, dans la suggestion, pas dans la description précise comme l’est Marc Nammour, qui, lui, retranscrit les scènes de manière essentiellement réaliste. J’ai pensé que le mélange des deux approches nourrirait à merveille la notion de polyurbanité.
En tant qu’initiateur de Zone libre, vous donnez votre avis sur les textes ?
Je ne me le permettrais pas. D’abord parce que j’admire le travail de ceux qui les écrivent, mais aussi parce que nous avons énormément d’idées fortes en commun. Quand, par exemple, sur « À titre posthume », un morceau de l’album, Marc s’en prend à la religion, j’adhère obligatoirement. Je trouve même cela jubilatoire. Quand il évoque l’histoire ouvrière, un sujet qui n’est plus jamais abordé, lié à la mémoire, cela me touche également.