Tafta : le défi des citoyens européens
De nombreuses actions sont menées du 15 au 17 octobre contre le traité de libre-échange. Avec l’espoir de petites victoires.
dans l’hebdo N° 1372 Acheter ce numéro
Un des piliers du collectif national Stop Tafta, Amélie Canonne, présidente de l’Aitec [^2], prévient : « Il y aura une première manifestation centralisée à Berlin, en Allemagne. Les organisations attendent près de 500 000 personnes dans la rue… » « Ça bouge ! », ajoute-t-elle en évoquant le programme chargé des prochains jours pour des centaines d’organisations européennes associatives, syndicales et politiques opposées au Tafta (Transatlantic Free Trade Area).
Tafta est le terme le plus souvent utilisé pour désigner l’accord de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, TTIP en anglais) entre l’Union européenne et les États-Unis. Et du 15 au 17 octobre, avant le prochain cycle de négociations prévu aux États-Unis à la fin du mois, les anti-Tafta ont envisagé des actions d’envergure, comme l’encerclement du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement qui se réunira à Bruxelles. Des conférences citoyennes seront organisées, ainsi qu’une manifestation européenne appelant à sortir de l’austérité, de la pauvreté… et du Tafta. « Les marches européennes, dont l’importance est à souligner après la brutalité de l’attaque exercée en juillet dernier par les “institutions” européennes contre la Grèce et contre tout espoir d’alternative aux politiques d’austérité en Europe, sont impulsées par des forces syndicales et associatives qui veulent contribuer à changer le rapport des forces en Europe », promettent les altermondialistes d’Attac France. En ce qui concerne le traité de libre-échange, quelques signes montrent que les collectifs européens ont de grandes chances d’obtenir gain de cause. « Nous remettrons aux parlementaires européens une initiative européenne citoyenne [ICE] de près de 3 millions de signatures », explique l’animatrice de la campagne contre le Tafta en France et en Europe, régulièrement reçue par les parlementaires français et européens.
Cette initiative légale, lancée par un collectif de près de cinq cents organisations européennes nommé « Stop TTIP », s’est poursuivie après son rejet par la Commission européenne en 2014 et a remporté un franc succès auprès des citoyens. De plus, l’affaire a été portée devant la Cour de justice de l’Union européenne. « Quand les coordinateurs de l’ICE ont rencontré Cecilia Malmström [commissaire européenne au Commerce] en février pour parler du succès de cette ICE, celle-ci leur a répondu qu’elle ne se faisait pas dicter sa politique par les pétitions », raconte Amélie Canonne. Celle-ci « n’attend rien en termes de débouchés politiques, mais il est important de montrer la convergence des organisations contre le TTIP et l’autre traité de libre-échange en cours avec le Canada ». Les organisations espèrent cependant peser sur le Parlement européen : « Les groupes politiques se sont fracturés sur le Tafta », poursuit Amélie Canonne. La contestation a notamment porté sur l’inclusion ou non d’un mécanisme de règlement des différends permettant aux multinationales d’attaquer les États devant des tribunaux arbitraux privés. « Les collectifs nationaux et européens ont contraint le gouvernement français à présenter de nouvelles propositions à la Commission européenne », assure Amélie Canonne. D’après elle, même si Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, « n’est pas un farouche partisan de l’arbitrage », les 200 000 réponses à la consultation européenne de la Commission sur l’arbitrage l’année dernière et les 3 millions de signatures de l’ICE ont convaincu la France et l’Allemagne d’agir.
Du coup, Cecilia Malmström a repris à son compte, le 16 septembre, la réforme proposée par la France. Laquelle consiste à créer une nouvelle « cour sur l’investissement », certes exclusivement accessible aux investisseurs étrangers et assurant des « privilèges scandaleux par rapport aux populations et aux pouvoirs publics », a réagi le collectif Stop Tafta. « Tout comme la procédure originelle, cette nouvelle cour d’investissement reste conçue en faveur d’une logique unilatérale, celle des investisseurs », affirme Johan Tyszler, un des animateurs du collectif. Surtout, la proposition européenne sera au centre du prochain cycle de négociation. « Les représentants américains la considèreront-ils comme “ workable ” ? », s’interroge Amélie Canonne, qui pense que la proposition sera un sujet de controverse. D’autant qu’outre-Rhin, Sigmar Gabriel, ministre de l’Économie et président du parti social-démocrate allemand, « ne semble pas convaincu par ce traité », ajoute-t-elle. Pour les collectifs, l’utilité première de l’ICE a été sa portée mobilisatrice : « La coalition européenne rassemblée autour de cette initiative a traversé l’Europe durant l’été à la rencontre des citoyens », expliquent Amélie Canonne et Johan Tyszler dans le Monde diplomatique [^3]. Et, depuis que les mouvements citoyens ont pris de l’ampleur, le traité transatlantique ne semble plus faire la même unanimité qu’en 2013, lorsque la Commission européenne avait obtenu le mandat des États membres pour négocier avec les États-Unis.
À lui seul, le collectif national Stop Tafta regroupe plus d’une centaine d’organisations associatives, syndicales et politiques, qui ont poussé les collectivités à se déclarer « zone hors TTIP ». Il revendique plus de 140 collectifs locaux en France et rassemble pas moins d’une quinzaine de régions dites « hors Tafta » ou « en vigilance », ainsi qu’une vingtaine de départements et des centaines de communes. Des actes symboliques qui ont essaimé. L’Allemagne compte 228 zones « hors Tafta », dont les villes de Cologne, Leipzig ou Munich. Des collectivités autrichiennes, belges, britanniques, espagnoles et italiennes ont rejoint le mouvement, avec désormais des militants d’Europe centrale qui encouragent ces initiatives. « Je pense qu’on peut gagner », espère Amélie Canonne, avec toutefois une hésitation : « Le risque est d’avoir un socle minimal d’accord pour le Tafta, avec des clauses de rendez-vous qui provoqueraient de nouvelles réunions plus tard. Mais ce n’est pas sûr que les parties prenantes y arrivent. Les négociations ont pris du retard par rapport à l’échéance de la présidentielle américaine. » Autre sujet d’inquiétude : Cecilia Malmström, craignant que certains États membres de l’Union ne valident pas en l’état l’éventuel accord, a déclaré que rien n’oblige ceux-ci à ratifier individuellement le Tafta. Mais « il va falloir qu’elle s’accroche, car elle sera très mal reçue dans un certain nombre de pays européens si elle veut passer en force », soupire Amélie Canonne, avant de retourner à la préparation intense de la mobilisation de Bruxelles.
[^2]: Association internationale de techniciens, experts et chercheurs, spécialiste des questions liées aux politiques de commerce et d’investissement.
[^3]: « Ces Européens qui défient le libre-échange », Amélie Canonne et Johan Tyszler, le Monde diplomatique, octobre 2015.