Un Front de gauche uni… dans deux cas sur trois
Parti tard en campagne, le Front de gauche se présente dans des configurations différentes. Souvent seul, parfois avec EELV, ou réduit au seul PCF.
dans l’hebdo N° 1375 Acheter ce numéro
À cinq semaines du premier tour des élections régionales, le brouillard qui entourait la constitution des listes du Front de gauche s’est enfin dissipé. Les dernières discussions entre partis, qui font les délices de ce scrutin à la proportionnelle, ont été bouclées la semaine dernière. S’il reste encore ici et là à peaufiner les listes de candidats avant leur dépôt officiel, qui doit intervenir entre les 2 et 9 novembre, leur composition et leur équilibre politique sont désormais connus dans les douze nouvelles régions de l’Hexagone. À l’examen, la coalition électorale née en 2009 de l’alliance du Parti communiste (PCF) et du Parti de gauche (PG) n’y apparaît pas en grande forme. Certes, les militants communistes se sont prononcés dans toutes les régions pour participer au premier tour à des listes de « rassemblement anti-austérité » indépendantes du Parti socialiste (PS), comme le souhaitaient leurs alliés du PG et d’Ensemble ! ; lors du précédent scrutin de 2010, ils n’avaient pas été aussi unanimes et avaient fait liste commune derrière le PS dans cinq des vingt-deux régions. Mais le Front de gauche n’aborde pas pour autant uni le scrutin des régionales. En l’espèce, le verre est aux deux tiers plein. Car si les trois formations du Front de gauche se présentent unies dans huit des douze nouvelles régions, dont deux en association avec Europe écologie-Les Verts (EELV), dans les quatre autres il est divisé, le PCF faisant cavalier seul dans trois régions (voir carte).
Dans les Pays-de-la-Loire, où les communistes de Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire s’alliaient traditionnellement avec le PS dès le 1er tour, l’alliance entre les partenaires du Front de gauche a buté sur l’avenir de Notre-Dame-des-Landes, bien que les fédérations communistes de la Sarthe et de Vendée soient opposées au projet d’aéroport, tout comme le PG et Ensemble !. Autre casus belli : le PCF, qui réclamait au départ les têtes de liste des cinq sections départementales, n’avait accepté de céder au PG celle du Maine-et-Loire, le département de sa tête de liste régionale, Alain Pagano, qu’à la condition que le comité fédéral du PCF l’accepte. « On avait en face de nous des négociateurs de chez Leclerc qui veulent presser le citron à leurs fournisseurs », résume Éric Jamet, co-secrétaire départemental du PG de la Sarthe.Dans le Centre/Val-de-Loire, le PG et Ensemble ! ont refusé la fusion avec le PS au second tour, déjà votée par le PCF. En Auvergne/Rhône-Alpes, les communistes emmenés par Sophie Cukierman, sénatrice du Rhône et vice-présidente sortante à la région, et André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) à l’Assemblée nationale et président du groupe Front de gauche à la région Auvergne, ont considéré que la charte éthique élaborée dans des assemblées citoyennes et validée par EELV, le PG, Ensemble Rhône-Alpes, la Nouvelle gauche socialiste (NGS) et Nouvelle Donne (ND) n’était pas acceptable. Elle déclare incompatibles avec un mandat de conseiller régional ceux de parlementaires nationaux, excluant de fait leurs chefs de file. Seuls, ils ne prétendent pas moins conduire une liste de « rassemblement » et affichent sur leur matériel de campagne un logo « Front de gauche » qui n’est pas de nature à apaiser les relations avec leurs ex-alliés.
Enfin, en Nord-Pas-de-Calais/Picardie, le PCF et Ensemble ! ont refusé de rejoindre la liste conduite par Sandrine Rousseau (EELV) dans laquelle s’est engagé le PG, mais aussi la NGS. Entre autres « divergences de fond » avancées par eux pour expliquer ce refus, les communistes nordistes reprochent aux écologistes d’avoir siégé dans l’exécutif de la région sous direction PS et d’avoir approuvé tous les budgets. Pour ce motif, en Île-de-France, le PG et Ensemble !, qui siégeaient dans un groupe distinct du PCF, auraient été fondés à refuser de faire liste commune avec ce dernier ; il participait à l’exécutif, eux non, et a approuvé des budgets en baisse, quand ils ont refusé de voter ceux de 2014 et 2015. « Dans une élection plus nationale que jamais, dans des régions sans existence réelle, face à des partis nationalement centralisés, les partis de l’autre gauche s’abandonnent à un capharnaüm à pleurer », déplore Jean-Luc Mélenchon sur son blog. « Une nouvelle fois, nous ne serons pas vraiment lisibles le soir des résultats, puisque les situations se sont créées d’après les humeurs locales, sans coordination ni négociation nationale », prédit l’ancien candidat du Front de gauche à la présidentielle qui, en retrait de la direction du Parti de gauche, ne s’est mêlé ni des négociations ni de la conduite de la campagne.
Ces alliances à géométrie variable traduisent un recul de la dynamique unitaire du Front de gauche. La volonté d’être ensemble, très forte durant la campagne présidentielle, s’est fracassée aux municipales quand le PCF a préféré l’union avec le PS dès le premier tour dans plus de la moitié des villes où il présentait des candidats. Depuis, aucune campagne fédératrice n’est venue la relancer. Et la divergence stratégique béante qu’avaient révélée les municipales menace de ressurgir dans l’entre-deux tours si le PCF choisit de fusionner avec le PS sans condition ni prévention.