Au nom de la « guerre »
François Hollande veut inscrire dans le droit des mesures portées jusqu’ici par la droite, voire l’extrême droite. Ce virage sécuritaire, qu’il justifie par les circonstances, rencontre encore peu d’opposition.
dans l’hebdo N° 1378 Acheter ce numéro
Une « Marseillaise » entonnée par 925 députés et sénateurs, le président de la République et ses ministres. C’est l’image d’unité nationale que voulait donner l’exécutif en convoquant les parlementaires en Congrès à Versailles, moins de trois jours après les attentats les plus meurtriers de notre histoire. Objectif atteint donc. Mais au prix de quatre virages politiques de François Hollande.
Le premier est institutionnel. Il est exceptionnel que le chef de l’État s’adresse à la représentation nationale. Interdite avant la révision constitutionnelle de 2008, cette possibilité n’avait été utilisée que par Louis-Napoléon Bonaparte, à trois reprises, et Nicolas Sarkozy en 2009. À l’époque, François Hollande s’était indigné que les parlementaires ne puissent prendre la parole qu’après le départ du chef de l’État. Il avait dénoncé une « adresse du souverain » qui tient « davantage du simulacre politique que du dialogue républicain ». Le second virage est diplomatique. Le Président souhaite désormais la mise en place d’une « grande coalition » internationale pour « détruire » Daech, incluant la Russie. Il a annoncé avoir demandé une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU « pour adopter une résolution marquant [une] volonté commune de lutter contre le terrorisme », assurant que « la nécessité de détruire Daech constitue un sujet qui concerne toute la communauté internationale ». Et fait savoir qu’il rencontrerait « dans les prochains jours » Barack Obama et Vladimir Poutine pour organiser la lutte contre Daech et « atteindre un résultat qui pour l’instant est encore renvoyé à trop longtemps ». Au passage, François Hollande a désigné cette organisation comme « l’ennemi » prioritaire en Syrie, tout en soulignant que Bachar Al-Assad ne pouvait « constituer l’issue » du conflit. Le troisième virage, de loin le plus radical, est sécuritaire. « La France est en guerre », a martelé le chef de l’État pour demander la « mise en place de contrôles coordonnés et systématiques aux frontières » de l’Union européenne, ainsi que « l’approbation avant la fin de l’année 2015 » du fichier européen des passagers aériens (PNR) pour « assurer la traçabilité du retour des jihadistes et les interpeller ».
Au plan national, cet état de guerre justifie surtout une batterie de mesures prônées jusqu’ici par la droite et même l’extrême droite : prolongation de trois mois et adaptation de l’état d’urgence (voir ci-contre) ; interdiction du territoire pour les binationaux qui présentent « un risque terroriste » ; déchéance de la nationalité des individus « même nés français » qui « bénéficient d’une autre nationalité » dès lors qu’ils auraient été condamnés « pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme » ; expulsion plus rapide des étrangers qui présentent une menace ; dissolution des associations ou des groupements de fait « qui provoquent à la haine ou incitent à la commission d’actes terroristes », annonce d’une loi sur « la question de la légitime défense des policiers et des conditions dans lesquelles ils peuvent faire usage de leurs armes »… François Hollande n’exclut pas totalement une surveillance accrue des individus fichés : le gouvernement, « dans un esprit d’unité nationale », saisira « pour avis le Conseil d’État » sur les propositions faites par l’opposition en ce sens (bracelet électronique, internement préventif…), a-t-il annoncé en promettant d’en tirer « toutes les conséquences ». Il veut une révision de la Constitution « pour permettre aux pouvoirs publics d’agir […] contre le terrorisme de guerre » et fait sienne une proposition du comité présidé par Édouard Balladur qui, en 2007, « suggérait de modifier l’article 36 de notre Constitution pour y faire figurer […] l’état d’urgence », afin de fonder sur une longue période « la prise de mesures exceptionnelles » .
Enfin, pour compléter ce discours de guerre, le chef de l’État a annoncé des embauches dans la police et la justice : création de 5 000 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes « d’ici à deux ans », de 2 500 postes supplémentaires dans l’administration pénitentiaire et les services judiciaires, ainsi que 1 000 postes dans l’administration des douanes. Les effectifs de la défense seront en outre maintenus « jusqu’en 2019 » ; ils devaient diminuer de 9 000 postes. « Si nous sommes en guerre, nous ne pouvons pas l’être avec ce que nous avions imaginé il y a quelques années pour assurer la sécurité de nos concitoyens », a fait valoir François Hollande, qui envisage également la création d’une « garde nationale » formée de « réservistes » de la défense, représentant un « gisement insuffisamment exploité ». Le quatrième virage est économique. Pour financer cette politique de sécurité, le Président a décidé de s’affranchir du carcan budgétaire européen : « Le pacte sécuritaire l’emporte sur le pacte de stabilité », a-t-il lancé. Ce qu’une partie de sa majorité lui réclame en vain depuis trois ans pour mener des politiques sociales devient subitement possible. Ce virage sécuritaire, préparé dès samedi par un pilonnage concerté de l’exécutif et des dirigeants socialistes sur « la France en guerre » et la nécessaire « unité nationale », a pris de court la droite, qui n’avait pas grand-chose à lui opposer. « Le discours du chef de l’État marque un virage à 180 degrés », constatait pour s’en féliciter le très droitier Jacques Myard, député des Yvelines, dans les couloirs du Congrès.
« Ces mesures étaient presque toutes comprises dans les amendements des Républicains à la loi sur le terrorisme qui avaient été repoussés, donc bien sûr elles vont dans le bon sens », a reconnu François Fillon, invité du JT de France 2, tout en déplorant « le temps perdu ». Christian Estrosi s’est « réjoui de voir François Hollande reprendre des propositions qu’il jugeait mauvaises il y a six mois ». Côté FN, de nombreux cadres étaient enthousiastes pendant le discours du Président, l’un saluant sur Twitter « des mesures de bon sens », l’autre une reprise des « solutions » frontistes, un troisième une « victoire totale » pour le parti. Sans aller jusqu’à adresser un satisfecit au chef de l’État, Marine Le Pen a « salué de bonnes inflexions » sur la Russie, « la déchéance de nationalité » ou les effectifs des forces de l’ordre, mais « ternies par d’autres lacunes énormes », comme le refus de reconstituer les frontières nationales et de mettre un terme à l’accueil des migrants, ou l’occultation du « combat indispensable à mener contre l’islamisme en tant qu’idéologie ». Si, de fait, François Hollande ne l’a pas évoqué, ce n’est pas le cas de Manuel Valls. Le chef du gouvernement a réaffirmé, mardi sur France Inter, sa volonté de « lutter contre l’islamisme, qui est une pathologie de l’islam ». Le Premier ministre, pour qui la France doit aussi se battre contre « un ennemi intérieur », a affirmé partager les analyses de Malek Boutih, qui, la veille, voulait former, « au sein des musulmans […] une colonne républicaine » contre les intégristes. Et à la tribune du Congrès, le président du groupe socialiste au Sénat, Didier Guillaume, a appelé à « profiter » de l’état d’urgence « pour nettoyer la France », assurant que les socialistes se tiendront « aux côtés du gouvernement, pour aller vider les caves, vider les hangars, vider les lieux où […] prolifèrent » les armes.
S’approprier des préconisations de la droite était « nécessaire pour montrer la cohésion nationale », soutient le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. Dans ce concert guerrier, seuls les écologistes et les élus du Front de gauche ont tenté timidement de faire entendre une autre musique. « Ce serait permettre aux terroristes de gagner que de reculer sur nos droits fondamentaux », a averti Cécile Duflot. « La logique de guerre, les appels à la vengeance répondent pleinement aux objectifs de Daech », a mis en garde la présidente du groupe communiste au Sénat, Éliane Assassi, qui demande de « constater lucidement que les attaques sur Paris signent l’échec de quinze ans de guerre ». Des avertissements qui, dans le climat d’émotion entretenu, ont peu de chance d’être entendus.