Des militants écologistes assignés à résidence
Plusieurs perquisitions, sous le régime de l’état d’urgence, ont été effectuées, ces derniers jours chez des citoyens proches de la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. À Rennes, six militants ont été assignés à résidence.
- Ajout, samedi 28 novembre à 9 h : 24 militants ont été assignés à résidence au total selon le ministère de l’Intérieur.
«Le ministre de l’Intérieur perd ses nerfs** , confond et assimile le mouvement associatif au terrorisme»* , dénonce la Ligue des Droits de l’Homme (LDH). À la veille de la COP 21, Joël Domenjoud, membre du conseil juridique de la Coalition Climat, qui rassemble 130 organisations de la société civile, a été assigné à résidence. Il devra pointer au commissariat trois fois par jour jusqu’au 12 décembre, soit jusqu’à la fin de la COP 21, rapporte la LDH. Selon la ligue, le ministère de l’Intérieur reprocherait à ce militant d’appartenir à « l’ultra-gauche parisienne qui veut remettre en cause la tenue de la COP».
M. Domenjoud faisait partie des militants qui avaient déposé un recours (rejeté) contre l’interdiction des manifestations pour le climat.
«Si l’on avait besoin d’une confirmation que l’état d’urgence est un danger pour les libertés publiques, cette mesure en attesterait tant elle révèle que la lutte contre le terrorisme n’est ici qu’un prétexte pour interdire toute voix dissonante» , dénonce l’organisation des droits de l’Homme.
De fait, on dénombre plusieurs perquisitions administratives visant des militants écologistes.
Mardi, un couple de maraîchers bio en Dordogne a eu la surprise de voir des gendarmes débarquer chez eux au petit matin. Selon l’ordre de perquisition, il existait «des raisons sérieuses de penser» que pourraient se trouver dans la ferme «des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste» , rapporte le site d’information Basta !. «Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ?» , plaisante Elodie, après que les gendarmes soient repartis de sa ferme. De fait, ceux-ci semblaient surtout intéressés par les activités militantes du couple, et ont évoqué une action de soutien à Notre-Dame-des-Landes à laquelle les maraîchers ont participé il y a trois ans.
Jeudi, c’est le Massicot, un squat d’Ivry-sur-Seine, qui a été perquisitionné par les forces de l’ordre, rapporte Mediapart. Selon la police, les occupants seraient liés à «la mouvance contestataire radicale» . À la recherche d’armes et d’objets pouvant servir à des actions violentes, «les agents sont finalement repartis avec plusieurs ordinateurs, des liasses de papiers et des affiches mentionnant la COP21» , raconte la journaliste Jade Lindgaard.
«Ils ont dit qu’il s’agissait de prévenir des troubles pendant la COP 21»
À Rennes, 11 perquisitions administratives ont été menées depuis jeudi, notamment dans les appartements et maisons de militants écologistes, notamment impliqués dans la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sept assignations à résidence ont été prononcées, ainsi que 11 interdictions de séjour en région parisienne (décidées par le préfet de police de Paris). Ces assignations et interdictions concernent des « militants de la mouvance radicale d’ultra- gauche résidant à Rennes» , selon la préfecture d’Ille et Vilaine.
«Ils sont arrivés chez nous vers 9h30, jeudi matin. On était trois, en train de discuter dans le salon quand j’ai entendu de grands coups à la porte, j’ai été ouvrir, et ils sont entrés, arme au poing, raconte Marie[^2], Ils étaient entre 20 et 30. Ils nous ont plaqués au sol et menottés, sans nous dire pourquoi. Pendant les trois quarts d’heure qu’a duré la perquisition, ils nous ont laissés comme ça. Ils disaient qu’ils cherchaient des armes. Bien sûr, ils n’ont rien trouvé. Ce n’est qu’à la fin qu’ils nous ont notifié notre assignation à résidence.»
Pourquoi ? Marie ne comprend toujours pas ce qui justifie qu’elle doive rester chez elle entre 20h et 6h du matin, pointer trois fois par jour au commissariat et ne pas quitter Rennes, jusqu’au 12 décembre :
«Ils ont dit que, dans le cadre de l’état d’urgence, il s’agissait de prévenir des troubles à l’ordre public pendant la COP 21. On nous reprochait d’avoir participé à certaines manifestations, comme la manifestation du 22 février à Nantes contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais aucun d’entre nous n’a jamais été condamné pour des faits de violence !»
Alors pourquoi ces militants, spécifiquement ? Marie n’y voit aucune logique : «Quelle cohérence y a-t-il dans ces assignations ? Ça semble très arbitraire.»
Contactée par Politis , la préfecture d’Ille-et-Vilaine à justifié ces assignations :
«La COP 21 suscite depuis plusieurs mois la mobilisation d’une frange radicale de l’ultra- gauche, très présente à Rennes, qui cherche non pas à manifester pacifiquement mais à susciter de graves troubles à l’ordre public à travers des actions violentes.
Dès lors, il était nécessaire de prendre toutes les mesures pour garantir l’ordre public afin que les forces de l’ordre ne soient pas distraites de leur mission prioritaire de protection des citoyens de la menace terroriste» , nous écrit le préfet dans un courrier.
Selon la préfecture, ces assignations à résidence ont été prises à l’encontre de personnes déjà connues pour «avoir participé à des manifestations violentes en France et à l’étranger, au cours desquelles elles ont été interpellées en possession d’armes, d’engins incendiaires, de cocktails molotov…» ou «avoir déjà fait l’objet de procédures judiciaires».
«Ces mesures permettront d’éviter que ces personnes ne puissent participer aux mouvements violents projetés en région parisienne» , écrit le préfet, qui tient à rappeler que l’état d’urgence autorise à prononcer l’assignation à résidence de toute personne «à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics» .
Marie, Gauthier et Alice, ainsi que trois autres militants rennais assignés à résidence, déposeront ce soir deux recours, en référé-liberté et référé-suspension, par le biais de leur avocate Marie Dosé.
«Les raisons invoquées pour justifier leur assignation à résidence sont incroyables !, s’exclame l’avocate, En gros, ce qui leur a été notifié c’est qu’avec la menace terroriste actuelle, les forces de l’ordre ne doivent pas être détournées de leur mission pour réagir à des troubles à l’ordre public occasionnés par le non-respect de l’interdiction de manifestations. C’est-à-dire qu’on est dans la prévention de ce que peut-être ils pourraient faire s’ils étaient libres de leurs mouvements. C’est une atteinte aux libertés fondamentales et une véritable instrumentalisation de l’état d’urgence ! On ne va tout de même pas assigner à résidence des citoyens sous prétexte qu’ils pourraient manifester ! Ces militants travaillent, certains sont étudiants, certains ont des enfants ! De quel droit les empêche-t-on de circuler ? »
L’avocate a bon espoir que les recours qu’elle s’apprête à déposer soient entendus. «Je pense qu’ils sont allés très vite, et que tout cela n’est pas très argumenté.»
Mais pour elle, ce n’est pas un hasard si la France a notifié au Conseil de l’Europe son intention de déroger à la Convention Européenne des Droits de l’Homme : «Ils veulent prévenir de possibles recours devant la cour européenne des droits de l’Homme. Et si ces assignations étaient portées devant la cour, il y a peu de doutes que la France serait condamnée.»
Lire > État d’urgence : La France dérogera à la convention européenne des Droits de l’Homme
«Le problème, ce n’est pas l’état d’urgence en soit, c’est ce que l’on en fait, assène l’avocate, Et un tel détournement de sa raison d’être, c’est très inquiétant.»
[^2]: Les prénoms ont été changés
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