Juifs et musulmans : le refus de la fatalité
Un ouvrage collectif analyse les causes des tensions actuelles et les ramène à l’histoire plutôt qu’à la religion.
dans l’hebdo N° 1379 Acheter ce numéro
Voici un petit livre qui prolonge utilement une rencontre organisée au Sénat le 12 mars dernier sur le thème « Juifs et musulmans, retissons les liens ! ». Les initiateurs en étaient les infatigables Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias, qui, depuis de nombreuses années, mettent leur érudition au service de l’antiracisme. Précieuse érudition, en effet, parce que la connaissance de l’histoire est un antidote contre le poison des préjugés. Puisque juifs et musulmans ont si longtemps vécu en bonne intelligence, c’est qu’il n’y a pas de fatalité.
Abordé sous cet angle, l’antagonisme – quand il existe – revient dans le cercle de la raison. On saura gré à Esther Benbassa de rappeler les événements qui ont provoqué de durables tensions : le décret Crémieux de 1870, parce qu’il a donné aux juifs d’Algérie une citoyenneté que la France coloniale a refusée aux musulmans ; la décolonisation en terre arabo-musulmane, parce qu’elle a entraîné le départ des juifs dans le sillage des forces colonisatrices ; et, bien sûr, le conflit israélo-arabe, puis israélo-palestinien, parce qu’il a suscité dans notre société des phénomènes d’identification. Sans oublier la question sociale, entre fantasmes et réalités. Un chapitre plus loin, la sociologue Omero Marongiu-Perria, spécialiste de l’islam, repousse « les interprétations coraniques essentialistes » en rappelant que, dès son émigration vers la cité de Yathrib, la future Medine, Muhammad (Mahomet) avait établi « une charte d’entente avec tous les groupes tribaux de la cité, juifs compris ». Il revient ensuite à Jean-Christophe Attias de traiter l’actualité du problème, sujet ultra-sensible. Et plus encore depuis les sanglants événements de janvier 2015. Ce spécialiste de la pensée juive médiévale s’interroge sur une laïcité « trop souvent déclinée en laïcité d’exclusion » et « spécialement des musulmans ». Attias regarde avec scepticisme (que nous partageons) les inévitables appels au « dialogue interreligieux ». Avant de s’interroger : « Sommes-nous absolument certains que les menaces pesant le plus lourdement sur la paix du monde […] soient de nature principalement religieuse ? » « N’avons-nous pas plutôt affaire à des conflits de portée politique, territoriale, économique ou autre, qui trouvent à s’exprimer par le truchement d’un discours de tonalité religieuse ? »
À lire aussi la contribution du philosophe Joël Roman, qui nous invite à « déjouer les assignations identitaires » pour décliner notre citoyenneté « au prisme de nos identités multiples ». Au total, ce petit ouvrage est un outil pédagogique cent coudées au-dessus des fascicules de piètre morale que l’on a tenté, un temps, de faire entrer dans les écoles.